Depuis 2019, le Laboratoire de marquage au carbone 14 (LMC/SCBM/DMTS) développe de nouvelles stratégies de marquage de médicaments, plus simples, rapides et efficaces, grâce à un échange isotopique dynamique du carbone. Ce concept permet, dans une même réaction, la rupture d’une liaison
12C-12C et la formation d’une nouvelle liaison
12C-14C (14C = carbone 14, isotope radioactif du carbone) tout en gardant la structure originale du médicament.
Jusqu’à présent l’échange isotopique a été réalisé en présence du dioxyde de carbone (14CO2) comme source isotopique de carbone-14. Plusieurs approches complémentaires ont été publiées : par catalyse au cuivre (JACS 2019, lire l’actualité « Du CO2 et du cuivre pour marquer des produits pharmaceutiques au carbone » publiée en janvier 2019), par simple chauffage thermique, sans catalyseur (Angewandte Chemie, voir l’actualité « Marquage au carbone 14 d’anti-inflammatoires avec du CO2 » publiée en mai 2020) et récemment par voie photochimique à l’aide d’un catalyseur organique activé par une lumière bleue (ACS Catalysis, lire l’actualité « Marquer au carbone à l’aide de la lumière » publiée en février 2021).
Avec l’objectif de repousser les limites de l’échange isotopique et d’augmenter sa versatilité à d’autres fonctions chimiques, les chercheurs du LMC/SCBM ont exploré l’activation de liaisons chimiques de type carbone-groupe cyano (12C-12CN). L’activation de ces liaisons, c’est-à-dire le fait de pouvoir les rompre, est déjà connue mais demeure un casse-tête pour les chimistes car elles sont réputées très stables. Les molécules organiques contenant un groupe cyano – les nitriles – sont des intermédiaires de synthèse polyvalents, précurseurs des amines, des acides carboxyliques, des carboxamides, des aldéhydes, des cétones et des alcools. Outre sa malléabilité en tant que groupe fonctionnel, le groupe cyano est présent sur un certain nombre de produits naturels et pharmaceutiques, représentant ainsi un élément architectural précieux et polyvalent pour le marquage. Les chercheurs proposent une solution de radiomarquage basée sur une procédure de décyanation/cyanation réversible pour permettre l'incorporation d’un groupe cyano marqué au carbone 14 (14CN) dans les produits pharmaceutiques au moyen de la catalyse des métaux de transition. Grâce à un catalyseur au nickel et en présence de ligands de type phosphine (PMe3) qui stabilisent le métal et le maintiennent actif, les chercheurs ont démontré non seulement qu’il était possible d’activer cette liaison particulièrement stable, mais aussi qu’en présence d’une source appropriée de carbone-14 tel que le Zn(14CN)2 il était possible de remplacer le
12CN par un
14CN. En plus de se révéler être la meilleure source de groupe cyano, le Zn(14CN)2 présente un avantage pratique non négligeable : solide, il est plus facile à manipuler que le dioxyde de carbone.
Cette preuve de concept constitue le premier exemple d’échange isotopique de nitriles. Des études pour élucider le mécanisme de la réaction ont été effectuées, et cette méthode a d’ores et déjà été utilisée pour le marquage par le
14C d’une dizaine de molécules bioactives, tels que des médicaments et des produits phytosanitaires. Joao de Oliveira, doctorant du SCBM financé par une bourse ANR-CIFRE en partenariat avec Sanofi, est actuellement en train de faire le transfert de technologie pour une application sur une molécule d’intérêt en développement par le géant pharmaceutique français.
Financements européens
Ces travaux ont été financés dans le cadre de l’ERC Consolidator Grant (ERC-COG-2019)
FASTLabEX et le FET-OPEN
FLIX, coordonnés par le CEA.