Certaines substances thérapeutiques ne peuvent pas être administrées sous leur forme active.
In vivo, leur
efficacité est
limitée par leurs propriétés physico-chimiques : elles peuvent être trop instables, peu solubles, métabolisées trop vite ou encore mal distribuées dans l'organisme… Une
stratégie de contournement consiste à administrer une forme modifiée chimiquement de la substance – on parle de
prodrug (ou
promédicament). Celle-ci est libérée dans l'organisme sous sa forme active, idéalement au moment et à l'endroit où elle doit exercer son action. Classiquement, la stratégie d'activation repose sur les caractéristiques physiologiques des cellules pathologiques (variation de pH, de redox, présence d'une enzyme surexprimée…). Mais souvent, tissus sains et pathologiques sont peu différenciables et l'activation du promédicament n'est
pas suffisamment sélective, diminuant de fait le gain attendu par l'emploi de cette stratégie.
Depuis une dizaine d'année, la
stratégie « click-and-release » constitue une
alternative prometteuse (voir "Le prix Nobel de chimie 2022 décrypté par Frédéric Taran, spécialiste de la « chimie click » au SCBM"). Une fonction bio-orthogonale est attachée à une région importante du médicament de manière à masquer son activité. L'addition d'un déclencheur complémentaire, lui aussi bio-orthogonal, permet alors de « libérer » le médicament et de rétablir son activité biologique.
Dans un article publié dans
Chem. Communications, des chercheurs du LMC et du LMT (SCBM/DMTS) décrivent une méthodologie qui pourrait être utilisée pour l'activation bio-orthogonale de promédicaments contenant une fonction amide terminale.
Leur méthode repose sur la chloration sélective des iminosydnones[1]. Cette réaction chimique rend les iminosydnones très réactives vis-à-vis des cyclooctynes, ce qui accélère une réaction bio-orthogonale « click-and-release » décrite pour la première fois en 2017 par les mêmes équipes (SPICC, voir actualité du 24/10/2017 : "Lier et libérer sélectivement des molécules dans les milieux biologiques").
Les cinétiques obtenues amènent à considérer les chloroiminosydnones comme des composés d'intérêt pour masquer transitoirement des médicaments contenant des fonctions terminales amide, urée ou sulfonamide. Ces chloroiminosydnones pourraient être utilisées à l'avenir comme un lien clivable entre un médicament et un anticorps dans les stratégies de thérapies ciblées à l'aide d'anticorps.
Exemple de réaction "click-and-release" : un anticorps est accroché à un couple iminosydnone-promédicament. Le médicament est libéré par réaction avec un cyclooctyne.
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[1] Les iminosydnones, grâce à leur « cœur » mésoionique, sont capables de réagir rapidement dans les milieux biologiques avec des alcynes cycliques pour former deux nouveaux produits : l'un provenant de la ligation des deux partenaires réactionnels (click), l'autre provenant de la fragmentation de l'iminosydnone (release).