La chimie click et la chimie bio-orthogonale, consistant à préparer des objets moléculaires en créant (click) et/ou en rompant (release) des liaisons entre des « briques » grâce à quelques réactions chimiques hautement efficaces et sélectives, récompensée en 2022 par le prix Nobel de chimie, est utilisée avec succès depuis plusieurs années au SCBM. Pour preuve, le prix Seqens de l'Académie des Sciences attribué à Frédéric Taran le 17 octobre dernier pour les 10 dernières années de ses travaux de recherche en chimie bioorthogonale. Dans cette étude, le laboratoire de Frédéric Taran a utilisé une approche bioorthogonale ciblée pour libérer rapidement des médicaments à partir de micelles internalisées dans des cellules tumorales in vitro.
NANOMICELLES ET TRANSPORT DE MÉDICAMENTS
Dans le domaine de la nanomédecine, le développement de vecteurs micellaires pour le diagnostic et la thérapie des tumeurs est en plein essor mais se heurte encore à des freins technologiques et méthodologiques, parmi lesquels la libération incontrôlée du médicament et le manque de spécificité des stratégies ciblées. L'administration de médicaments « à la demande », devenue possible grâce à la conception de nanovecteurs qui réagissent de manière dynamique dans le microenvironnement ciblé par des stimuli externes (enzymatiques, pH ou physiques), a été développée avec succès. Reposant sur l'introduction de liens clivables au bon endroit dans la structure des nanomicelles, cette approche a permis de lever un certain nombre de freins. Toutefois, les difficultés à contrôler les déclencheurs endogènes tels que le pH ou les enzymes dans les tissus sains et pathologiques, ainsi que le manque de focalisation et de profondeur de pénétration des stimuli externes dans les tissus, restent des défis majeurs dans ce domaine.
APPORT DE LA CHIMIE BIOORTHOGONALE POUR UNE MEILLEURE DÉLIVRANCE DES MÉDICAMENTS
La stratégie alternative prometteuse présentée ici a consisté à utiliser plusieurs réactions bioorthogonales pour contrôler le désassemblage de nanomicelles clivables à base de sydnonimines et la libération de leur contenu médicamenteux encapsulé provoqué par l'ajout de cyclooctynes (clik-and-release selon le principe du Strain-Promoted SydnonImine-Cycloalkyne cycloaddition reaction, SPSIC). En d'autres termes, la nanoparticule et la « gâchette bioorthogonale » sont inertes lorsqu'elles ne sont pas localisées ensemble dans l'organe cible, et c'est leur accumulation sur le site à traiter qui va provoquer la destruction de la nanomicelle et la libération de son contenu. Les chercheurs ont ainsi pu déclencher la libération massive d'Entinostat, un puissant anti-cancéreux, après l'internalisation de 4 micelles clivables dans des cellules cancéreuses en culture. Ils montrent en particulier que la libération du médicament suite à la réaction de click-and-release dans les micelles est suivie une activité antiproliférative plus forte et plus rapide que celle observée après la simple diffusion passive du médicament hors du noyau des micelles.
Cette stratégie de double ciblage, avec un déclenchement contrôlé par une réaction bioorthogonale au site à traiter, pourrait conduire à des thérapies plus sélectives et plus efficaces sans les effets secondaires souvent rencontrés lors des traitements classiques.
Contact : Frédéric Taran (frederic.taran@cea.fr )
Voir aussi : Institut des sciences du vivant Frédéric Joliot - Chimie click : de nouvelles iminosydnones "électrophiles" (cea.fr)