Intégrer ou différencier, Telle est la question.
A chaque instant, le cerveau reçoit des informations sensorielles qu’il doit être capable d’intégrer ou de différencier. Par exemple, voir un oiseau et entendre son chant permet au cerveau de faire une déduction (une
inférence),
par intégration multisensorielle, de l’existence d’une même cause (l’oiseau). A l’inverse, voir un chat et entendre un oiseau simultanément nécessite de dissocier les sources visuelles et auditives en deux représentations distinctes. Cette capacité de notre cerveau à attribuer correctement si deux sources sensorielles ont, ou non, la même origine (l’oiseau ou l’oiseau et le chat) s’explique bien si l’on considère que
notre cerveau est
bayésien : il
calcule en permanence les probabilités des causes possibles de ce qu’il est en train d’observer. Schématiquement, dans notre premier exemple, c’est parce que le cerveau calcule la probabilité la plus grande à la cause « le chant et la vue de l’oiseau proviennent du même animal » parmi toutes les causes possibles qu’il retient cette hypothèse comme la plus vraisemblable.
Mais
comment notre cerveau se débrouille-t-il pour combiner sélectivement les signaux qui doivent l’être dans un flux continu d’informations multisensorielles ?
Comment détecte-t-il les corrélations ? Et
comment s’adapte-t-il aux conflits spatio-temporels (je vois un chat en même temps que j’entends un oiseau ou encore j’entends un oiseau avant de le voir) ? Les
mécanismes neuronaux qui permettent d’intégrer ou de dissocier des informations lors de l’analyse de scènes complexes
restent largement inconnus, en partie parce que les
modèles bayésiens sont
majoritairement statiques, c’est-à-dire qu’ils ne prennent pas en compte l’évolution des informations sensorielles dans le temps, et ne génèrent pas de prédictions sur la dynamique neuronale.
Un modèle à l'échelle du neurone ?
Un certain nombre de données montrent que l’intégration multisensorielle est
d’autant meilleure que les signaux d’entrée corrèlent dans le temps et dans l’espace. Un
algorithme dynamique, appelé « détecteur de corrélations multisensorielles » pourrait constituer
un bon modèle de l’intégration (inférence causale)
et de la ségrégation (ordre temporelle)
de l’information par les neurones impliqués dans ces opérations. Dans une étude publiée dans
Nature Communications, l’équipe « Cognition et dynamique cérébrale » (UNICOG/NeuroSpin) a testé si les deux types de dynamiques neuronales parallèles prédites par le modèle (l’une expliquant l’intégration et l’autre la ségrégation des signaux multisensoriels) prennent place à l’échelle des populations de neurones. L’équipe a développé une
approche multivariée de modèle d'encodage à résolution temporelle combinée à une neuroimagerie non invasive à haute résolution temporelle (magnétoencéphalographie, MEG). Les participants ont jugé si des séquences de signaux auditifs et visuels provenaient de la même source (inférence causale) ou si une modalité sensorielle précédait l'autre (ordre temporel). Durant toute la durée de la tâche, leur activité cérébrale était enregistrée par MEG. Premièrement,
les chercheurs confirment que le détecteur de corrélation multisensorielle explique bien les jugements comportementaux d'inférence causale et d'ordre temporel. Deuxièmement, ils constatent
une forte adéquation entre l'activité cérébrale dans les cortex temporo-pariétaux et le détecteur de corrélation multisensorielle. Enfin, ils décrivent
une asymétrie dans la qualité de cette adéquation, qui est meilleure pendant la tâche d'inférence causale que pendant la tâche de jugement de l'ordre temporel.
Dans l'ensemble, les résultats suggèrent l'existence de détecteurs de corrélation multisensorielle dans le cerveau humain, ce qui explique comment et pourquoi l'inférence causale est déterminée par la corrélation temporelle des signaux multisensoriels.
Financement européen
Ce travail a été réalisé dans le cadre de l'ERC Starting Grant
MINDTIME, coordonné par Virignie van Wassenhove.
Contact CEA-Joliot