Deux niveaux de conscience
La conscience est un processus dynamique et complexe qui nécessite la coordination de l'activité de régions distantes du cerveau. Les neuroscientifiques s'accordent à distinguer au moins deux niveaux hiérarchiques de conscience. Le premier correspond à notre état de vigilance (éveil, sommeil…). Il est lié à l'activation de structures très profondes du cerveau nichées dans le tronc cérébral. Le deuxième reflète notre capacité à accéder aux informations qui viennent du monde qui nous entoure (on parle d'accès conscient). Cet accès conscient correspond à un codage de l'information perçue par l'activation simultanée de groupes de neurones répartis dans différentes aires du cortex.
Schéma de l'anatomie du cerveau avec localisation des 3 structures impliquées dans les deux niveaux de conscience : le cortex, le tronc cérébral et le thalamus. © B. Jarraya / UVSQ
Une piste pour rétablir la conscience ?
Un lien a été établi entre la perte de conscience et une forte perturbation des communications longue distance d'une part, entre différentes aires du cortex et, d'autre part, entre le cortex et le thalamus (une région du cerveau à mi-chemin entre le tronc cérébral et le cortex). Des études d'imagerie cérébrale suggèrent que le rétablissement de ces communications pourrait être la clé de la récupération des troubles chroniques de la conscience. Plusieurs équipes à travers le monde ont notamment montré qu'une perte de conscience induite par l'anesthésie pouvait être inversée par une manipulation directe du thalamus. Plus particulièrement, la stimulation cérébrale profonde (Deep Brain Stimulation, DBS) ciblant spécifiquement le thalamus peut moduler l'éveil chez des rongeurs ou des primates non humains anesthésiés et améliorer les aspects comportementaux chez des patients présentant des troubles de la conscience en restaurant l'activité corticale globale. Cependant, il manque actuellement une démonstration claire que la DBS peut restaurer à la fois les aspects d'éveil et d'accès conscient.
Un modèle
L'équipe de Béchir Jarraya[1] à UNICOG (département NeuroSpin) a précédemment développé un modèle de primate non humain de perte de conscience basé sur une anesthésie. Dans ce modèle, en utilisant l'IRM fonctionelle et l'électroencéphalographie, l'équipe a mis en évidence une signature de l'état d'anesthésie générale : la matrice de connectivités fonctionnelles est beaucoup moins complexe et dynamique chez un sujet anesthésié que chez un sujet éveillé (Pourquoi perdons-nous conscience lors d'une anesthésie générale ?). En collaboration avec une équipe de l'Institut du Cerveau (ICM), elle a également mis en évidence l'existence d'une signature de l'accès conscient : lorsque l'on fait entendre à un sujet une suite régulière de sons et que l'on perturbe celle-ci (violation auditive), une activation globale d'un réseau cortical étendu est détectée si le sujet est éveillé mais pas s'il est anesthésié. Ces deux signatures ont également été identifiées chez l'Homme (IRM fonctionnelle : un outil performant pour évaluer les états de conscience).
Dans un nouvel article publié dans Sciences Advances, l'équipe a étudié le potentiel de la DBS thalamique pour restaurer ces deux signatures de la conscience chez des primates non-humains profondément anesthésiés.
Pendant l'anesthésie, la stimulation du thalamus central a induit l'éveil et a augmenté l'activité détectée par IRM fonctionnelle dans les cortex préfrontal, pariétal et cingulaire. L'arrêt de la stimulation a replongé immédiatement le sujet dans un état de profonde sédation. De plus, la DBS a restauré un large répertoire dynamique de l'activité spontanée de l'état de repos, précédemment décrit comme une signature de la conscience. Aucun de ces effets n'a été obtenu lors de la stimulation d'un site témoin dans le thalamus ventro-latéral. Enfin, la DBS a rétabli une large réponse hiérarchique aux violations auditives qui avait été perturbée sous anesthésie.
Représentation schématique des connectivités fonctionnelles entre différentes aires du cortex (ligne du haut) et entre le cortex et le thalamus (ligne du bas) dans trois situations : animal éveillé, animal anesthésié, animal anesthésié et traité par DBS. © B. jarraya / UVSQ
Ainsi, la DBS a restauré les deux dimensions de la conscience, l'éveil et l'accès conscient, après une perte de conscience. Il ouvre la voie à de futurs essais cliniques de restauration de conscience chez des patients présentant des troubles chroniques de la conscience, après un traumatisme crânien grave ou un accident vasculaire cérébral sévère.
Contact chercheur CEA-Joliot :
Béchir Jarraya (bechir.jarraya@cea.fr)