L’ataxie de Friedreich est une maladie neurodégénérative et cardiaque rare touchant environ 1 naissance sur 50 000. Elle est due à une anomalie du gène codant la frataxine, une protéine localisée dans la mitochondrie, la « centrale énergétique » de la cellule. La mutation de la frataxine est responsable d’un défaut de synthèse des « centres fer-soufre », des assemblages d’atomes de fer et de soufre indispensables à l’activité des protéines auxquelles ils sont liés. Les protéines à centre fer-soufre ont des fonctions biologiques essentielles (production d’énergie, synthèse de protéines, maintien de l’intégrité du génome…). Le mécanisme d’assemblage des centres fer-soufre est très mal compris. Deux machineries interviennent chez les eucaryotes : la machinerie ISC localisée dans la mitochondrie et la machinerie CIA localisée dans le cytosol. La machinerie ISC est constituée de plusieurs protéines (Figure 1) : ISCU, la protéine d’échafaudage sur laquelle sont assemblés les centres Fe-S ; NFS1, une protéine qui fournit du soufre à ISCU sous la forme de persulfure (-SSH) lié à l’un de ses acides aminés cystéine ; le couple FDX2 / FDXR qui délivre des électrons, et trois autres protéines dont la frataxine (FXN), avec des rôles encore mal compris. Les scientifiques imaginent que le processus d’assemblage repose sur une réduction du persulfure en ions sulfures, potentiellement catalysée par FDX2, et qui serait coordonnée à l’insertion du fer dans ISCU pour empêcher les cycles futiles de production d’ions sulfure en absence de fer, et favoriser une liaison rapide des ions sulfures au fer pour éviter leur diffusion, potentiellement toxique. Cependant, cette hypothèse n’a jamais pu être formellement démontrée. Une fonction de chaperon apportant le fer à ISCU a été proposée pour la frataxine mais ces résultats sont très controversés.
L’une des limites à l’étude du mécanisme d’assemblage des centres Fe-S est d’obtenir une machinerie ISC fonctionnelle in vitro, car celle-ci doit être reconstituée avec pas moins de sept protéines purifiées. L’hétérogénéité des résultats recueillis jusqu’à présent, suggère que ces conditions n’ont pas encore été obtenues, dans les reconstitutions précédentes, des centres fer-soufre sont formés mais à partir d’ions sulfures libres générés de manière non-couplée au fer. Dans un article publié dans Nature Communications, des chercheurs du SBIGEM (CEA-Joliot/I2BC), en collaboration avec des équipes françaises[1], allemande[2] et espagnole[3], montrent que l’un des biais aux reconstitutions précédentes est la présence systématique d’un ion zinc dans le site d’assemblage de la protéine d’échafaudage ISCU. Le zinc entrave la liaison du fer mais favorise la réduction du persulfure de NFS1 ce qui conduit à une libération d’ions sulfures. Des centres fer-soufre sont alors formés dans ISCU par l’association ions sulfures /ions fer libres mais ce processus n’est pas physiologique : la synthèse étant lente, peu efficace et mal localisée dans ISCU.
En parvenant à insérer le fer dans le site d’assemblage d’ISCU, par échange avec le zinc, les auteurs ont réussi à reconstituer une machinerie ISC capable de générer des centres Fe-S d’une manière qui semble reproduire le processus physiologique. Ils ont ainsi pu établir que le mécanisme d’assemblage comprend un minimum de quatre étapes (Figure 2) initiées par l’insertion du fer qui déclenche le transfert du persulfure de NFS1 à ISCU via une réaction de transpersulfuration couplée au fer, ce persulfure va ensuite être réduit par FDX2 par un processus également couplé à la présence de fer et enfin un centre [2Fe2S] va se former, probablement par dimérisation d’ISCU. La frataxine quant à elle n’est pas nécessaire pour l’insertion du fer dans ISCU mais elle accélère le transfert du persulfure de NFS1 à ISCU.
Ces résultats établissent le premier modèle du processus d’assemblage des centres Fe-S mettant en lumière une production confinée d’ions sulfures dans ISCU catalysée par FDX2 et coordonnée à la présence du fer dans le site d’assemblage. De plus, en montrant le rôle fonctionnel de la frataxine dans la stimulation de l’apport en persulfure à ISCU, ces travaux devraient aider à mieux comprendre la physiopathologie de l’ataxie de Friedreich et peut-être ouvrir la voie au développement de nouvelles pistes thérapeutiques.
[1] UMR 7178, Université de Strasbourg / CNRS ; UMR 8229 Collège de France / Sorbonne Université / CNRS ; ICSN CNRS / Université Paris-Saclay
[2] Fachbreich Physik, Technische Universität Kaiserlautern
[3] Facultat de Química, Universitat de Barcelona