Douleur aiguë ou chronique, douleur inflammatoire ou neuropathique1, près de deux tiers des consultations médicales seraient motivées par des douleurs. La douleur, cette « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans ces termes »2 est depuis plusieurs années un enjeu de santé publique. Les antalgiques (paracétamol, aspirine, morphine et dérivés) sont les médicaments les plus prescrits pour les prendre en charge. Mais même ceux qui nous paraissent les plus anodins – car largement utilisés – ne sont pas sans effet indésirable. Une partie des recherches actuelles vise à trouver de nouvelles molécules aux propriétés antalgiques. Et pourquoi ne pas aller chercher directement dans la nature ? Serpents, scorpions, araignées, cônes de mer… près de 170 000 espèces fabriquent un venin, cocktail complexe de toxines, dont certaines sont déjà connues pour leurs propriétés antinociceptives3.
Le SIMOPRO exploite l’immense ressource que constituent ces toxines. En collaboration avec Sanofi R&D, Smartox Laboratories et l’Institut du Thorax (Nantes), il a criblé une banque de venins à la recherche de toxines capables de bloquer un sous-type de canal sodium (Nav1.7), important pour la transmission nerveuse de la douleur. Les canaux sodium font partie de la famille des canaux ioniques, des protéines transmembranaires qui contribuent notamment à la propagation de l’influx nerveux. Le sous-type Nav1.7 suscite l’intérêt, en partie car des mutations de ce canal ont été identifiées comme liées à des phénotypes « sans douleur » ou au contraire « hyperalgésiques ».
Le criblage de la banque de venins s’est fait en plusieurs étapes. Il a d’abord fallu séparer4, en petits sous-groupes de 5 à 15 membres, les toxines contenues dans les 117 venins de la banque (serpents, araignées, scorpions, guêpes, abeilles, amphibiens, lézards et poissons). C’est ainsi que 7548 fractions ont été générées et testées pour leur capacité à inhiber Nav1.7, par mesure du courant électrique sur des cellules le surexprimant (technique du patch-clamp, largement utilisée en électrophysiologie). Miniaturisation et automatisation ont permis une telle analyse dans un temps raisonnable (criblage haut débit). Les peptides de chacune des fractions qui bloquaient le canal ont été individualisés puis testés dans un deuxième criblage. Un peptide issu du venin d’une tarentule de Malaisie (Cyriopagopus schioedtei) s’est avéré être le plus efficace. Sa séquence a été déterminée par spectrométrie de masse. Il contient 33 acides aminés et a été nommé "cyriotoxine-1a". Les chercheurs ont réussi à en faire sa synthèse chimique et ont montré que cette version synthétique avait la même capacité d’inhibition de Nav1.7 que le peptide naturel. Ils ont également déterminé sa structure tridimensionnelle par résonance magnétique nucléaire (RMN). Surtout, afin d’obtenir des informations supplémentaires sur ses propriétés fonctionnelles, plusieurs expériences ont été conduites. Les expériences de patch-clamp ont été répétées, en présence et en absence de cyriotoxine-1a, sur des cellules en culture surexprimant différents canaux ioniques, puis sur des neurones en culture, connus pour contribuer au signal de douleur. L’effet de la molécule sur la sensibilité à la douleur a été étudié dans un organisme modèle. Des groupes d’animaux auxquels la toxine ou un placebo a préalablement été injecté ont été comparés lors de tests de sensibilité mécanique ou thermique à la douleur. Les données collectées confirment l’effet antinociceptif du peptide.
Le profil pharmacologique de la cyriotoxine-1a, déterminé dans cette étude, ouvre la voie à des études d’ingénierie visant à optimiser son potentiel analgésique.
[1] Contrairement aux douleurs inflammatoires, les douleurs neuropathiques sont associées à des atteintes du système nerveux (lésion de la moelle épinière, du nerf sciatique…).
[2] Définition de l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP).
[3] Qui suppriment la sensibilité à la douleur.
[4] Par chromatographie.