Bien que des millions de personnes soient opérées tous les ans sous anesthésie générale, les mécanismes cérébraux qui permettent aux agents pharmacologiques utilisés de supprimer la conscience de façon contrôlée et réversible sont méconnus. Ceci freine le développement d'outils modernes de monitorage du cerveau pendant l'anesthésie ainsi que le développement de nouveaux agents pharmacologiques plus sélectifs et plus sûrs.
L'imagerie cérébrale est aujourd'hui un moyen d'exploration de choix pour disséquer les mécanismes cérébraux de l'anesthésie. Reste que cette recherche est difficile à mener chez des volontaires sains car l'anesthésie générale comporte des risques. Dans ce travail, une équipe de NeuroSpin a eu recours au modèle primate non humain pour induire une anesthésie générale, avec un protocole très similaire à l'anesthésie humaine, tout en enregistrant l'activité cérébrale par IRMf et EEG. La dynamique cérébrale a été étudiée grâce à un algorithme de classification statistique faisant partie des méthodes de type "Big Data". Cet algorithme a permis d'extraire, à partir des données de l'IRMf, des états cérébraux spécifiques à l'anesthésie générale.
Pour mieux comprendre la découverte, imaginez que notre cerveau soit notre planète terre, l'IRMf étant alors un satellite qui enregistre en permanence des images de la planète, pour rendre compte de l'activité sur terre. Maintenant, imaginez que ce satellite observe les routes : il retrace tout d'abord une carte du réseau routier et remarque qu'il est fait d'une part d'autoroutes, et d'autre part, de rampes et de petites routes qui relient les autoroutes. Les autoroutes représentent les connexions anatomiques qui lient les aires cérébrales entre-elles. Le satellite arrive à distinguer deux situations (figure) :
Figure : Signatures cérébrales d'un cerveau conscient (figures du haut) et d'un cerveau sous anesthésie générale (figures du bas), établies par une équipe de NeuroSpin. Les observations montrent une activité riche et flexible en état « conscient » : différentes aires du cerveau peuvent être activées en phase, reliées ou non par une connexion anatomique ; si l'activité reste présente sous anesthésie générale, seule les aires connectées anatomiquement peuvent s'activer en phase, « rigidifiant » ces activations.
- dans la première, l'activité terrestre génère des configurations plus flexibles et dynamiques que le réseau des autoroutes car l'activité routière emprunte facilement les rampes et les petites routes, amenant une richesse importante. Les images générées depuis ce satellite sont assez variées et différentes d'un instant à l'autre. Cette situation correspond à notre cerveau à l'état conscient ;
- à l'inverse, dans la deuxième situation, l'activité terrestre correspond à des configurations superposables aux autoroutes. Il y a bien une activité (la planète n'est pas désertée) mais les images générées depuis ce satellite sont assez monotones et très peu variées. Il y a embouteillage. Les voitures ne pouvant emprunter que les grands axes routiers, il y a peu de flexibilité. Cette situation correspond à notre cerveau sous anesthésie générale !
En somme, l'anesthésie générale ne supprime pas du tout notre activité cérébrale mais elle "rigidifie" et limite le cheminement de l'information au sein du cerveau, la cantonnant aux connexions anatomiques et lui retirant la possibilité de générer des trajets flexibles, ce qui supprime notre conscience.
Il est très intéressant de noter que ce marqueur cérébral de l'état anesthésique a pu être retrouvé avec des agents pharmacologiques très différents (propofol, sévoflurane, kétamine), qui agissent sur des récepteurs distincts du cerveau en induisant pourtant le même effet, la perte de la conscience. Cette nouvelle étude a donc découvert une signature cérébrale universelle de l'anesthésie.
Cette étude a fait l'objet d'un
communiqué de presse le 20 août 2018.
* : Inserm U992, universités de Versailles Saint-Quentin en Yvelines et Paris-Sud (Paris-Saclay), université Paris-Descartes, Hôpital Foch de Suresnes, Hôpitaux Necker, Sainte-Anne, Collège de France, Institut du Cerveau de la Moelle épinière.