Les anticorps catalytiques, ou abzymes, sont des anticorps capables d'altérer chimiquement, par des mécanismes enzymatiques, des antigènes pour lesquels ils sont spécifiques. Si le concept a été proposé par le Dr Linus Pauling (prix Nobel de chimie en 1954), dès les années 40, de tels anticorps ont été produits par immunisation de souris seulement à la fin des années 1980. A la même période, l'équipe de Paul S. décrit la présence d'anticorps ayant des activités peptidase capables de cliver le peptide vasoactif intestinal (VIP) chez des patients asthmatiques. Plus récemment, une équipe française, dirigée par le Dr Lacroix-Desmazes du Centre de Recherche des Cordeliers, a décrit la présence à des taux élevés d'anticorps catalytiques dans différentes pathologies (sepsis, hémophilie, néphropathies…).
Se pose alors la question de la raison des taux élevés de ces anticorps si particuliers. Jouent-ils un rôle bénéfique ou néfaste dans la pathologie ? Peuvent-ils être des facteurs prédictifs de l'évolution de la maladie ?
Afin de connaitre la nature moléculaire des anticorps catalytiques, il est nécessaire d'accéder à leurs séquences en acides aminés. Les compétences du groupe d'ingénierie des anticorps du SPI dans les stratégies de clonage des ADNc codant pour ces immunoglobulines ont été sollicitées pour tenter d'élucider la genèse et le rôle de ces anticorps dans un contexte physiologique ou pathologique. Un consortium a été formé regroupant des équipes de l'INSERM pour la détection des anticorps catalytiques chez les patients, de l'Université de Technologie de Compiègne afin de comprendre leurs mécanismes catalytiques et du CEA pour les compétences précédemment décrites tout en associant des cliniciens spécialistes des pathologies étudiées. Ce consortium financé par l'ANR a conduit à plusieurs publications.
La présente publication étudie le taux sanguin d'anticorps catalytiques comme facteur pronostique d'une greffe rénale. Même si, à ce jour, l'explication d'un taux élevé d'anticorps catalytiques dans les pathologies nécessitant une greffe rénale n'est pas comprise, une diminution de ce taux d'anticorps se révèle comme un marqueur négatif de la prise du greffon. Ce travail, mené sur une cohorte initiale de 100 patients pendant 2 ans, montre un taux d'anticorps catalytiques systématiquement plus élevé que la population normale avant l'intervention, puis une grande variation de ce taux après la greffe rénale probablement du fait du traitement immunosuppresseur, avant un retour élevé du taux d'anticorps catalytiques chez les patients greffés avec succès.
Cet article illustre bien les applications diagnostiques des anticorps catalytiques. Des applications thérapeutiques sont aussi imaginables lorsque, par exemple, des abzymes sont capables de rétablir la cascade de coagulation pour des patients atteints d'hémophilie acquise. Un des enjeux de cette recherche, pour lequel l'équipe du SPI s'investit, est d'obtenir l'information génétique de ces anticorps rares au sein des immunoglobulines de la circulation sanguine afin d'en décrypter les mécanismes enzymatiques et d'envisager un anticorps thérapeutique catalytique capable de rétablir la cascade de coagulation pour des patients atteints d'hémophilie.