BIOMÉCANIQUE, ÉLASTICITÉ MUSCULAIRE ET ÉLASTOGRAPHIE ULTRASONORE
La biomécanique consiste en l'étude mécanique des mouvements biologiques du corps humain. Comprendre et quantifier les forces musculaires mises en jeu pour en analyser le mouvement est fondamental dans de nombreuses disciplines telles que le sport, la robotique et la médecine, où la biomécanique permet de mieux comprendre certaines pathologies, d'optimiser des traitements, de concevoir des prothèses. Lors du mouvement, les propriétés mécaniques des muscles et des tendons sont modifiées pour exécuter et produire la force souhaitée pour la tâche souhaitée. Cela permet d'effectuer des mouvements avec une grande précision (un enfant de 5 ans peut manipuler une variété d'objets avec une dextérité supérieure à celle de n'importe quel robot) et d'adapter notre corps à notre environnement pour, par exemple, éviter des blessures physiques. Afin d'étudier ces propriétés localement au niveau des muscles recrutés, les scientifiques ont développé des méthodes de mesure non invasives de plus en plus sophistiquées. Récemment, la communauté scientifique s'est intéressée à l'utilisation de l'élastographie ultrasonore par ondes de cisaillement. Cette approche tire parti d'une technologie d'échographie ultrarapide innovante et fournit une information précise des propriétés mécaniques locales des tissus, basée sur la mesure de la vitesse de propagation des ondes de cisaillement, directement liée à l'élasticité du tissu étudié. L'élastographie a déjà révélé son potentiel pour le diagnostic de certaines pathologies dans lesquelles la rigidité des tissus est altérée, comme le cancer du sein ou la fibrose hépatique (voir actu Joliot de janvier 2024). Cependant, ces développements se basent sur l'hypothèse que les tissus ou organes considérés sont simples, élastiques, isotropes. Pour les tissus complexes, anisotropes, viscoélastiques et non linéaires, tels que les muscles, l'élastographie présente certaines limitations.
Dans les deux publications présentées ici, les chercheurs ont poussé plus avant les performances de l'élastographie, afin de quantifier les paramètres mécaniques en jeu dans le cas du muscle : l'anisotropie et la non linéarité.
PUBLICATION 1
Pour la quantification de l'anisotropie [publication 1], l'équipe est partie du constat que l'élasticité d'un muscle n'est pas la même dans toutes les directions de l'espace et a mis au point une technique de « push en biais ». En inclinant astucieusement le faisceau ultrasonore dans le muscle par une modification des lois de focalisation électroniques programmées dans l'échographe, les chercheurs ont pu, sans bouger la sonde, générer dans différentes directions de l'espace des ondes de cisaillement qui renseignent sur l'anisotropie du muscle. Ils ont ainsi, pour la première fois, quantifié les modules de cisaillement parallèle µ// et perpendiculaire µꓕ aux fibres musculaires, mais également le facteur d'anisotropie de traction χE bien connu en mécanique.
PUBLICATION 2
Pour la quantification des propriétés non linéaires élastiques [publication 2], les chercheurs ont appliqué la théorie de l'acoustoélasticité en milieu transverse isotrope, un milieu géométrique décrivant le muscle. Cette théorie, développée par Bied et Gennisson en 2021, permet d'expliquer pourquoi l'élasticité (la dureté) du tissu ou de l'organe change lorsque qu'il est soumis à des contraintes extérieures. Fort des techniques de « push en biais » développées pour l'anisotropie, ils ont mis au point un protocole expérimental avec une séquence échographique spécifique pour quantifier ces paramètres dans un muscle fusiforme (le biceps brachial). Ils ont ainsi, pour la première fois chez l'Homme, quantifié les paramètres linéaires du muscle (µ//, µꓕ et χE) mais également les paramètres non linéaires (A, H, K).
@ Ricardo Andrade, MIP, Nantes
L'ensemble de ces mesures multiparamétriques ouvre la voie à une caractérisation complète des muscles qui devrait permettre de quantifier directement dans le corps en mouvement la force développée individuellement par chaque muscle. Ceci devrait apporter une aide au diagnostic dans les pathologies neuromusculaires, devrait améliorer la prise en charge du muscle vieillissant ou encore la performance chez le sportif.
Contact : Jean-Luc Gennisson (jean-luc.gennisson@universite-paris-saclay.fr)