L'organisation cérébrale du langage, initialement décrite par les neurologues du XIXe siècle et typiquement localisée dans l'hémisphère gauche, n'a pas fini de révéler tous ses secrets.
Chez la très grande majorité des êtres humains, l'hémisphère cérébral gauche héberge les réseaux de traitement du langage qui permettent d'écouter, parler ou lire. Chez certains individus « atypiques », gauchers pour l'essentiel, le langage semble pourtant impliquer l'hémisphère cérébral droit. Ce phénomène rare n'a encore jamais été étudié de manière approfondie. Or, pour comprendre les déterminants génétiques et environnementaux du langage, il est particulièrement instructif de décrire son organisation cérébrale chez ces personnes atypiques. Les chercheurs du Groupe d'Imagerie Neurofonctionnelle (GIN, Bordeaux), qui travaillent depuis plusieurs années sur cette importante question, lèvent une partie du voile dans une étude publiée dans la revue eLife.
Ils ont analysé plus spécialement le réseau en charge du traitement de la phrase car il met en jeu les aspects syntaxiques et sémantiques du langage de façon intégrée. Afin de recruter un nombre suffisant d'individus « atypiques », les chercheurs ont constitué une cohorte de 287 participants, gauchers à plus de 50%. Ils ont ensuite combiné l'utilisation de deux techniques d'IRM fonctionnelle (IRMf). Avec l'IRMf d'activation, ils ont mesuré les asymétries d'activations cérébrales au cours de la production, de l'écoute et de la lecture de phrases. Avec l'IRMf « au repos », ils ont enregistré les variations spontanées d'activité cérébrale en absence de tâche à réaliser, afin de mesurer la connectivité fonctionnelle entre les régions du réseau de la phrase.
Deux types d'organisation cérébrale du langage ont ainsi été identifiés à l'aide d'un algorithme de classification, mis au point par les chercheurs, prenant en compte simultanément les asymétries d'activations pendant les tâches de langage, les asymétries de mesures de connectivité au repos et la force de connectivité au repos entre les deux hémisphères. 90% des participants présentent une organisation « typique » avec de fortes asymétries en faveur de l'hémisphère gauche pour les 3 tâches de langage ainsi que pour l'intégration de l'information au repos au sein du réseau du langage. Chez 10% des participants, soit une trentaine d'individus, l'algorithme a révélé une organisation cérébrale du langage complètement « atypique ». Elle se caractérise d'abord par de fortes asymétries droites au cours des tâches langagières, tandis qu'au repos, elle se distingue par une intégration bilatérale de l'information ainsi que par une plus forte connectivité fonctionnelle inter-hémisphérique (Figure). Sur le plan anatomique, le corps calleux, cet épais réseau de fibres nerveuses qui relie les deux hémisphères cérébraux, est également plus large chez les participants atypiques, ce qui favoriserait la plus forte communication inter-hémisphérique observée au niveau fonctionnel.
Illustration des deux types d’organisation,
typique et atypique, du langage. De gauche à droite : activations cérébrales de
l’hémisphère gauche durant la production de phrase, intégration de
l’information à l’état de repos de l’hémisphère gauche, communication
inter-hémisphérique au repos, intégration de l’information à l’état de repos de
l’hémisphère droit et activations de l’hémisphère droit durant la production de
phrase.
© Loïc Labache, GIN IMN, CEA – CNRS – Université de Bordeaux.
Cependant, les résultats révèlent également des similitudes entre les organisations cérébrales « typique » et « atypique ». En particulier, le réseau du langage de l'hémisphère gauche a une force de connectivité comparable pour les deux types d'organisation, démontrant ainsi que ces dernières ne sont pas en miroir l'une de l'autre et que l'organisation de l'hémisphère gauche dans le traitement du langage est un invariant dans l'espèce humaine.
Dans cette étude, les chercheurs décrivent une organisation du langage « atypique » chez certains individus pour lesquels l'exécution de tâches de langage requiert une forte implication de l'hémisphère droit, mais également celle de l'hémisphère gauche. Ce travail constitue un point de référence important pour les futures études de recherche fondamentale et clinique sur le langage.
Actualité adaptée du Fait Marquant publié sur le site de l'université de Bordeaux.
Contact : Bernard Mazoyer, bernard.mazoyer@u-bordeaux.fr
Groupe d'Imagerie Neurofonctionnelle, Intitut des Maladies Neurodégénératives, UMR5293, CEA, CNRS, Université de Bordeaux