Les glutathion-S-transférases (GSTs) constituent une superfamille multigénique d'enzymes présentes dans les trois domaines du vivant (bactéries, plantes, mammifères). Cette présence ubiquitaire souligne l'origine sans doute très ancienne de ces enzymes ainsi que des fonctions fondamentales conservées au cours de l'évolution. Les GSTs sont impliquées notamment dans la détoxication cellulaire de molécules toxiques et dans le métabolisme secondaire. Par exemple, les GSTs interviennent dans la résistance au stress oxydant (élimination des espèces réactives de l'oxygène (ROS) générées par la photosynthèse et/ou la respiration) et la détoxication/excrétion des xénobiotiques (polluants, pesticides, métaux lourds médicaments, etc), et ce, par conjugaison entre le glutathion réduit (GSH, un tripetide g-glutamyl-cysteinyl-glycine) et les composés toxiques.
De manière générale, les rôles physiologiques des GSTs restent inconnus et la redondance d'isoformes demeure incomprise. Avec 18 isoformes chez l'homme et jusqu'à 90 chez les plantes supérieures, l'analyse détaillée qui vise à comprendre la redondance et la sélectivité des GSTs au sein d'un même organisme demeure un défi.
C'est pourquoi, le Laboratoire de Biologie et Biotechnologie des Cyanobactéries (LBBC) de l'I2BC@Saclay étudie depuis plusieurs années les six GSTs d'un microorganisme modèle, la cyanobactérie Synechocystis, qui possède une morphologie simple (unicellulaire) et un petit génome (4 Mb) facilement manipulable. Les cyanobactéries sont intéressantes car elles ont "inventé" la photosynthèse et les systèmes de résistance aux ROS qu'elle génère. Elles produisent une grande partie de la biomasse à la base de notre chaîne alimentaire et peuvent être également utilisées pour la production durable de composés d'intérêts (biocarburants, bioplastiques biodégradables, cosmétiques, neutraceutiques et médicaments) à partir d'énergie solaire et de CO2 atmosphérique (ce potentiel est souvent limité par le manque de connaissance des réponses aux stress des cyanobactéries). Une analyse exhaustive de deux GSTs de Synechocystis par la même équipe a récemment montré que les GSTs désignées Sll1145 et Slr0236, conservées par l'évolution chez les plantes, jouent un rôle prépondérant dans la tolérance aux stress photo-oxydant et oxydant (Kammerscheit et al, 2019).
Dans la présente étude, les chercheurs se sont intéressés à une GST membranaire de Synechocystis (Sll1147), appartenant à la catégorie MAPEG (Membrane-Associated Proteins in Eicosanoid and Glutathione metabolism), catégorie très peu étudiée in vivo, dont l'activité GST est considérée comme un dénominateur commun à toutes les protéines MAPEG, des bactéries à l'Homme. Les chercheurs ont montré que Sll1147 protège les membranes contre les stress thermiques (fortes ou faibles températures, deux stress environnementaux auxquels sont soumises les cyanobactéries) et la peroxydation des lipides induite par le n-tertbutyl Hydroperoxyde, en agissant vraisemblablement sur la fluidité membranaire (la peroxydation des lipides est une réaction en chaine très dangereuse pour les cellules car elle diminue fortement la fluidité et donc le bon fonctionnement des membranes cellulaires ; elle se produit au cours du vieillissement) (Figure). Chez un mutant dépourvu de Sll1147, la production de deux GST humaines (hmGST2 ou hmGST3), qui présentent des homologies de séquence avec les protéines MAPEG de Synechocystis, restore sa résistance aux stress membranaires précédemment décrits.
Croissance de souches sauvages (WT) et delta-sll1147 (n’exprimant pas
Sll1147) en présence de concentrations croissantes de n-tertbutyl Hydroperoxyde (haut), à des températures de 30°C à 45°C
(bas, gauche) et à 4°C (bas, droite).
Ces résultats montrent que certaines fonctions des GST-MAPEG ont été conservées au cours de l'évolution et qu'elles peuvent être (facilement) étudiées chez Synechocystis. Ils justifient en cela l'utilisation du modèle cyanobactérie pour l'analyse de ces protéines conservées des bactéries aux plantes et à l'homme.