Chondrus crispus est une algue rouge
multicellulaire d’environ 20 cm de longueur, très commune sur les côtes
rocheuses de l’Atlantique Nord. Son rôle écologique est essentiel car
elle contribue à la production primaire de ces écosystèmes côtiers. De
nos jours, certaines algues rouges sont utilisées par l’industrie
agro-alimentaire pour les propriétés épaississantes des carraghénanes
présents dans leur paroi. Ces polysaccharides sulfatés correspondent à
l’additif E-407 qui entre dans la composition de nombreux desserts et
entremets. Mais au-delà de son intérêt industriel, le premier séquençage
du génome d’une macroalgue rouge apporte de nouveaux éclairages pour la
compréhension de l’évolution des végétaux.
L’étude du génome de Chondrus
a réservé des surprises aux chercheurs. Avec seulement 9 606 gènes et
105 millions de paires de bases, il est en effet de petite taille pour
un organisme multicellulaire. A titre de comparaison, on dénombre 14 516
gènes chez l’algue verte unicellulaire Chlamydomonas reinhardtii et 27 416 gènes chez l’arabette (Arabidopsis thaliana), plante terrestre multicellulaire. Chondrus
présente par ailleurs un génome compact, dans lequel chaque fonction
correspond généralement à un seul gène. Les familles de gènes sont
petites, et la distance entre les gènes est réduite.
Pour
expliquer ces surprenantes caractéristiques, les chercheurs ont émis
l’hypothèse qu’à un moment de leur histoire évolutive, il y a plus d’un
milliard d’années, les algues rouges ont subi, du fait de conditions
environnementales extrêmes, une perte massive de matériel génétique. Ce
phénomène évolutif aurait alors eu de nombreuses conséquences. L’un des
exemples pourrait être la perte chez les algues rouges, contrairement à
la plupart des autres organismes, de gènes du système flagellaire,
système qui assure la mobilité de certaines cellules (comme celle des
gamètes lors de la reproduction sexuée chez la plupart des organismes, y
compris l’homme).
Sans cette perte massive
de gènes, les algues rouges auraient peut-être colonisé largement le
milieu terrestre de la même façon que les algues vertes, ancêtres de
toutes les plantes terrestres. Mais cet événement, véritable goulot
d’étranglement évolutif, a privé les algues rouges de la plasticité et
du potentiel génétique nécessaire pour s’adapter à la vie sur terre.
Le séquençage du génome de Chondrus
ouvre donc les archives de plus de 1 500 millions d’années d’histoire
de l’évolution des végétaux terrestres et marins. Il fournit désormais
des bases nouvelles pour étudier la biologie des algues rouges et n’est
qu’une première étape d’un programme qui vise par exemple à mieux
comprendre les origines du vivant, l’adaptation des algues rouges à leur
environnement ou les voies de biosynthèse de biomolécules d’intérêt
telles que les carraghénanes. Les scientifiques espèrent également
identifier de nouvelles enzymes d’intérêt pour les biotechnologies
marines.
Une algue rouge Chondrus crispus © Jonas Collén