La reproduction asexuée est souvent considérée comme une impasse
évolutive. En effet, ce mode de reproduction est censé entraîner au fil
des générations une accumulation de mutations délétères (c’est-à-dire
engendrant un désavantage pour les organismes qui les portent)
conduisant de manière inévitable à l’extinction de l’espèce. Pour cette
raison les chercheurs s’intéressent depuis longtemps aux rotifères
bdelloïdes, animaux microscopiques au mode de reproduction apparemment
strictement asexué (voir encadré ci-dessous).
© Boris Hespeels, Université de Namur (Belgique)
Présentation : Adineta vaga, le rotifère bdelloïde qui fait scandale
Les
rotifères bdelloïdes se trouvent en abondance sur toute la surface du
globe (principalement dans les milieux humides). Après dessèchement
complet ou exposition à des doses énormes de radiations, ils sont
capables de réparer leur ADN puis de reprendre une activité métabolique
normale. Par ailleurs, les données biologiques et paléontologiques
suggèrent qu’ils se reproduisent de manière exclusivement asexuée depuis
des dizaines de millions d’années, un « scandale évolutif » allant à
l’encontre des idées reçues mais démontré par les auteurs de la présente
étude.
L’analyse du génome du rotifère bdelloïde Adineta vaga a permis de
prouver qu’il est incapable de reproduction sexuée. En effet, cette
dernière implique que les chromosomes homologues, provenant des deux
parents, portent des gènes dans le même ordre. Or les chercheurs ont
découvert que les gènes de cet animal existent bien en deux copies mais
dans des ordres différents, et parfois même sur un seul et même
chromosome : il n’existe donc pas de chromosome homologue comme dans le
cas des espèces animales séquencées jusqu’alors. Une telle organisation
ne permet pas la formation de gamètes (cellules sexuelles impliquées
dans la reproduction), or sans gamètes, pas de reproduction sexuée.
Par
ailleurs, l’analyse a révélé des traces abondantes de conversions
géniques, une sorte de « copier-coller » génétique au cours duquel une
copie d'un ou plusieurs gènes est recopiée sur un autre exemplaire,
ailleurs dans le génome, en le remplaçant. Les auteurs de l’étude
avancent que ce mécanisme pourrait atténuer grandement l’accumulation de
mutations délétères, voire l’éliminer complètement.
Cette étude
ne clôturerait pas seulement le débat concernant l’asexualité supposée
des rotifères bdelloïdes : de manière peut-être plus importante encore,
elle suggère que les scientifiques peuvent maintenant déterminer si une
espèce est sexuée ou non en analysant la structure de son génome. Si les
rotifères bdelloïdes ont été capables de survivre sans reproduction
sexuée pendant des millions d’années, il est probable qu’ils ne soient
pas les seuls animaux dans cette situation.
Ainsi cette étude
remet en cause l’idée communément admise selon laquelle la reproduction
sexuée est indispensable aux espèces animales pour se perpétuer. Elle
montre également que l’asexualité est aussi une stratégie évolutive
viable sur le long terme pour certaines espèces animales.