L'immense émotion suscitée par l'incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019 a également touché la communauté scientifique qui s'est très vite mobilisée. En créant dans les jours qui suivirent l'Association des chercheurs pour la restauration de Notre-Dame afin de « mettre au service de cette restauration le résultat de leurs recherches [et transmettre] toutes les données nécessaires aux autorités [en restant] toujours disponibles pour que puisse s'accomplir la renaissance de Notre-Dame de Paris ». Entre mai et juin de la même année, sous la houlette du CNRS et du ministère de la Culture, un programme de recherche interdisciplinaire et inter-institutionnel est mis sur pied, dans lequel le CEA apporte ses compétences (voir encadré). Ce « chantier scientifique Notre-Dame » est structuré autour de neuf groupes de travail : sur les matériaux (bois et charpente, métal, pierre, verre et vitraux) ; le calcul de structure ; les décors monumentaux de la cathédrale ; son acoustique ; l'émotion patrimoniale et les mobilisations suscitées par l'événement et, enfin, sur le numérique. Y travaillent ensemble non seulement des archéologues, des historiens et des historiens de l'art mais aussi des physiciens, des chimistes et des géochimistes sans oublier les anthropologues… Tout le panel des sciences y est présent !
Observer Notre-Dame de Paris à la loupe et sous toutes ses coutures en fait aujourd'hui une « référence » pour les ouvrages du même type. Une référence pour le passé et le présent mais aussi pour l'avenir. Ainsi, en joignant les efforts des différents groupes de travail, nous en savons davantage sur l'histoire de la cathédrale. Nos travaux ont permis de repréciser les techniques de construction employées, de remonter jusqu'aux carrières d'origine des pierres qui ont servi à la bâtir, de reconstituer les routes d'approvisionnement en matériaux, et de démontrer que certains métaux (notamment les renforts en fer) avaient déjà été utilisés pour la première fois de manière aussi importante… Le Moyen-Age pratiquait également le réemploi et le recyclage des matériaux de manière raisonnée. Autre enseignement précieux : la température médiévale lorsque les bois de la charpente ont été coupés et utilisés pour la construction de la cathédrale. Ces données climatiques permettent d'affiner les modèles actuels d'évolution du climat depuis l'époque médiévale.
Depuis cinq ans, comme c'était le but initial, ces recherches ont bénéficié au chantier de restauration. Par exemple, pour retrouver des pierres aux caractéristiques équivalentes à celles d'origine, pour réaliser des calculs de structure sur des points précis de l'architecture de la cathédrale en soutien aux bureaux d'études impliqués dans la reconstruction ou pour établir des protocoles de déplombage.
Et demain ? Les méthodologies mises au point pour le chantier scientifique de Notre-Dame de Paris serviront à l'étude d'autres monuments. Certains des vestiges récupérés seront également conservés pour être à nouveau étudiés si de nouvelles méthodes d'analyse ou de nouveaux questionnements voient le jour dans les années qui viennent. Enfin, dans le cadre d'un projet européen, nous disposerons bientôt d'un jumeau numérique complet de la cathédrale où seront stockées l'ensemble des connaissances acquises et qui sera accessible à toute la communauté scientifique. Un éventail de travaux qui ont eu, dès le départ, la vocation et l'ambition de mettre en œuvre un panel de techniques et de technologies innovantes, au service de l'art, de l'histoire et de l'archéologie. Bref, au service de notre histoire.
La mobilisation du CEA Plusieurs équipes de la Direction de la recherche fondamentale du CEA se sont très tôt impliquées dans le
chantier scientifique constitué autour de la restauration de Notre-Dame de Paris. Des spécialistes des matériaux pour étudier
les fers de la cathédrale (qualité et provenance), des experts de la datation au carbone 14 (fers, bois et blanc de plomb du Jubé), des mesures isotopiques (
signature du plomb de Notre-Dame et provenance) et de la paléoclimatologie (analyse des bois).
Philippe Dillman, co-pilote du chantier scientifique Notre-Dame et responsable du Laboratoire archéomatériaux et prévision de l'altération de l'UMR Nimbe (CEA/CNRS). © L.Ardhuin/CNRS