Classée au patrimoine naturel national depuis 1934, la grotte Saint-Marcel située en Ardèche est réputée pour son incroyable réseau de 64 km de galeries souterraines. Elle l'est également pour l'histoire de son occupation humaine depuis le paléolithique moyen (environ -100 000 ans avant notre ère) jusqu'au néolithique (- 3000 ans). Cette histoire s'enrichit de découvertes, à l'instar de celle d'une équipe impliquant le LSCE qui s'est intéressée aux concrétions brisées au sol dans différentes salles de la grotte. Attribués aux pillages puis aux visites touristiques à partir de la fin du XIXe siècle, ces spéléothèmes brisés sont parfois scellés au sol par une repousse de stalagmites, indiquant des évènements bien plus anciens. Par ailleurs, leur disposition alignée dans des salles profondes indique une organisation intentionnelle, et donc humaine, confirmant le potentiel archéologique de cette grotte.
« Afin d'éviter tout biais dans les analyses, aucune hypothèse n'a été formulée quant à l'âge des éléments découverts dans la grotte. L'objectif était d'abord d'examiner l'organisation de ces spéléofacts, c'est-à-dire des spéléothèmes ayant été manipulés par l'homme », indique Edwige Pons-Branchu, spécialiste de datation au LSCE.
Archéo-géomorphologie et datation uranium/thorium
Pour ce faire, l'équipe a réalisé une cartographie archéo-géomorphologique des différentes salles où gisent les éléments. Elle révèle qu'un grand nombre de spéléothèmes brisés ont été utilisés pour construire des structures qui se caractérisent par des spéléofacts alignés, ou en escalier, et parfois maintenus en place par des éléments plus petits. Une vue « aérienne » du secteur d'étude indique un agencement qui s'étend sur toute la longueur du territoire cartographié, jusqu'à 1,5 km de profondeur.
La datation uranium/thorium a ensuite été utilisée, estimant l'âge des plus jeunes pointes de stalagmites brisées à environ - 10 000 ans. L'analyse des repousses de stalagmites, montrant d'ailleurs une forte cohérence spatiale, indique que les structures ont été mises en place il y a environ 8000 ans dans la zone centrale et il y a 6 000 ans dans le secteur nord.
Le couplage des données révèle également une différence entre les bris de stalagmites : par exemple, les casses anciennes sont toujours situées à une certaine hauteur du sol (5 à 10 cm), alors que les plus récentes affleurent systématiquement le sol. Un résultat qui confirme que certains évènements ont bien été causés par les pillages du XIXe siècle.
Une nouvelle dimension culturelle et symbolique
Ces estimations changent radicalement les connaissances, notamment la découverte de l'engagement des humains à plus de 1,5 km de l'entrée de la grotte dont l'accès est entravé par des obstacles et des fosses difficiles à franchir. « Bien que des exemples d'occupation humaine profonde de grottes du mésolithique (environ - 10 000 ans) existent déjà (comme celles de Niaux, Aldène ou Rouffignac), nos résultats indiquent que les humains se sont engagés dans des paysages souterrains profonds de Saint-Marcel alors que leur présence était considérée comme limitée aux zones d'entrée. Cela nous invite à porter un nouveau regard sur cette grotte, en lui conférant une dimension culturelle et symbolique », témoigne Edwige Pons-Branchu.