Les virus de la grippe aviaire menacent régulièrement la santé humaine. En particulier, certaines souches aviaires hautement pathogènes, telles que celles du virus H5N1 actuellement en circulation, peuvent évoluer de manière à infecter les humains avec un taux de mortalité élevé. Pour peu que des adaptations de l'hôte favorisent la réplication du virus et la transmission durable d'homme à homme, tous les ingrédients sont réunis pour une pandémie catastrophique.
Pour mieux appréhender les changements potentiels les plus délétères, les scientifiques s'intéressent à la réplication du virus dans les cellules de l'hôte.
Une réplication efficace du virus dans les cellules humaines exige certaines mutations présentes à la surface de la polymérase virale – la machinerie responsable de la création de nouvelles copies du matériel génétique. Les scientifiques savent que ces mutations compensent la différence de nature entre la protéine ANP32 de l'oiseau et celle de l'homme. Le virus peut ainsi détourner à son profit cette protéine dans les cellules humaines infectées mais le mécanisme précis à l'œuvre restait à ce jour inconnu.
Une énigmatique protéine à longue « queue »
Des chercheurs du CEA-Irig ont donc choisi d'étudier les bases moléculaires du mécanisme compensatoire associé à ANP32, une protéine composée d'une sorte de « queue » qui est plus longue (de 30 %) chez l'oiseau que chez l'humain.
Grâce à la spectroscopie RMN à haut champ, ils ont pu démontrer que l'ANP32 aviaire mobilise (ou co-localise), sur des sites voisins, deux protéines virales qui peuvent ainsi interagir : la polymérase et la nucléoprotéine. Celles-ci protègent le génome viral fraîchement produit du système immunitaire de l'hôte, avant qu'il ne se condense en « paquets », formant de nouvelles particules virales.
Les biologistes observent que ce mécanisme n'est pas reproductible à l'identique dans les cellules humaines, car la protéine humaine ANP32 est trop courte pour accueillir deux sites d'interaction distincts. Cependant, ils démontrent que certaines mutations, présentes dans la polymérase virale chez certains oiseaux et mammifères, rendent possible un nouveau mécanisme d'interaction entre la polymérase et la nucléoprotéine. Elles autorisent en effet la liaison simultanée des deux protéines virales au même site de l'ANP32 humaine.
« Le virus de la grippe exécute un remarquable travail d'ingénierie moléculaire qui lui permet de surmonter les barrières entre espèces, remarque Martin Blackledge, chercheur à l'Institut de biologie structurale de l'Irig. Mais la connaissance précise de cette plasticité nous ouvre aussi des voies totalement nouvelles pour développer des stratégies inhibitrices puissantes contre la menace pandémique omniprésente de la grippe aviaire. »