Les piscines des installations de réacteurs nucléaires constituent des environnements hostiles à la vie, baignés de radiations ionisantes, remplis d'eau déminéralisée et contenant des éléments radioactifs toxiques. En raison des restrictions d'accès et des fortes contraintes de manipulation liées aux niveaux élevés de radioactivité, on ne connait que très peu de choses sur la vie dans ces environnements. Quant aux circuits d'eau qui refroidissent directement les cœurs de réacteurs nucléaires, les contraintes et le niveau de radioactivité y sont tellement extrêmes que la vie n'y a jamais été recherchée. Des investigations antérieures de l'équipe et d'autres groupes ont déjà révélé la présence de micro algues et de bactéries dans des piscines de stockage de combustibles usagés, mais les taux de radioactivité y étaient bien moins élevés.
Dans ce travail, les chercheurs ont, pour la toute première fois, étudié la possibilité de trouver des organismes vivants dans l'eau radioactive utilisée pour refroidir le cœur d'un réacteur nucléaire en fonctionnement, le réacteur de recherche français Osiris, un réacteur à cœur ouvert plongé dans une piscine de 11 mètres de profondeur, mis à l'arrêt définitif en 2015. Ils ont pour cela prélevé des échantillons d'eau en plusieurs points de la piscine, pendant le fonctionnement du réacteur et à l'arrêt de celui-ci. Deux approches méta-omiques directes, à savoir le métabarcodage de l'ADN et le protéotypage, ont été utilisées. Elles sont respectivement basées sur le séquençage du gène de l'ARN ribosomique 16S et sur l'analyse des peptides par spectrométrie de masse.
Les chercheurs ont ainsi identifié 25 genres microbiens dans l'eau radioactive de la piscine près des radiations ionisantes du cœur pendant le fonctionnement d'Osiris et, plus précisément, les genres prédominants Variovorax et Sphingomonas. Ces genres ont été supplantés par Methylobacterium, Asanoa et Streptomyces lors de l'arrêt du réacteur.
La présence d'une souche de Variovorax en abondance pourrait être liée à sa capacité à utiliser le dihydrogène produit en grandes quantités par radiolyse de l'eau pendant le cycle de fonctionnement du réacteur. En outre, Variovorax possède de multiples facteurs de résistance aux métaux ainsi qu'au stress oxydant qui lui permettraient de contrer le stress radiatif et métallique.
Figure : a. Schéma du circuit de refroidissement du réacteur Osiris, avec les différents points (A, B, C) de prélèvements des échantillons d'eau pour les analyses microbiennes.
b. Espèces bactériennes identifiées dans l'eau du réacteur en fonctionnement et à l'arrêt selon les 2 méthodes méta-omiques.
Contre toute attente, ces résultats montrent que la vie est bel et bien présente dans l'eau de refroidissement d'un réacteur nucléaire opérationnel, bien qu'avec un nombre très restreint de bactéries, telles que Variovorax. Ils ouvrent des perspectives dans la découverte de nouvelles espèces radiorésistantes et dans la compréhension des mécanismes de radiotolérance qui pourraient être exploités en médecine ou en bio remédiation.
Contact chercheur Joliot/I2BC (dept microbiologie) : Corinne Rivasseau
Actualité adaptée de la Micro News du département Microbiologie de l'I2BC.