En France, on estime à 12 500 [2] le nombre annuel de décès directement liés à l’antibiorésistance, soit 3.5 fois le nombre de décès sur la route… Le Ministère français des Affaires sociales et de la Santé s’est donné pour objectif fin 2015 de « réduire de 25% la consommation globale d’antibiotiques […] d’ici 2017 ». Car c’est là que le bât blesse. 14 ans après la campagne publicitaire des pouvoirs publics martelant « les antibiotiques, c’est pas automatique », l’utilisation d’antibiotiques dans l’Hexagone reste trop importante. « La consommation antibiotique en ville […] reste très élevée. La France se situe parmi les pays les plus consommateurs en Europe, juste derrière la Grèce. Elle consomme 30 % de plus que la moyenne européenne », annonçait l’ANSM [3] fin 2015. Les hôpitaux sont davantage sensibilisés et la France se situe ici au 7ème rang européen des pays les plus gourmands.
Toutes les bactéries ne sont pas concernées au même titre. Toujours selon l’ANSM, la résistance du staphylocoque doré à la méticilline ou celle du pneumocoque à la pénicilline sont en baisse depuis 2004. « En revanche, la situation est beaucoup plus inquiétante parmi les bacilles à Gram négatif », prévient l’agence nationale. Ainsi, Escherichia coli résiste toujours davantage aux céphalosporines. La résistance de Klebsiella pneumoniae serait elle « exponentielle ». Selon Antoine Andremont, la diminution de prescription d’antibiotiques dans l’élevage et en médecine de ville aurait un impact significatif sur la baisse de cette résistance. 4/5 de ces médicaments utilisés sur la planète sont destinés à l’élevage ! « Les éleveurs néerlandais ont fait chuter de 60% l’utilisation d’antibiotiques et les retombées ont été significatives », affirme le bactériologue. Si l’antibiorésistance voyage vite, les mesures locales semblent très efficaces.
Une compétence naturelle pour résister
Contrairement à ce que l’on peut penser, la capacité des bactéries à contrer les stratégies des molécules antibiotiques n’est pas seulement du ressort de la sélection naturelle, d’une génération à l’autre. Dans son cycle de vie, une bactérie a (plus ou moins) la possibilité d’intégrer des fragments d’ADN d’autres bactéries pour devenir résistante. La dissémination se fait ensuite via les eaux usées, l’épandage, etc. Par exemple, une bactérie présente dans l’intestin pourra bénéficier des gènes de résistance de ses nombreuses voisines. « Si la pression de l’environnement augmente, par exemple avec le présence d’antibiotiques, certains transferts de gènes ont beaucoup de succès », explique Antoine Andremont. Des chercheurs du CEA-IRCM ont mis au point une technique pour observer ce transfert. « C’est un superbe outil de mesure de la circulation des gènes de résistance, s’enthousiasme le médecin. C’est formidable, je n’avais jamais vu ça ! »
« Le CEA est un endroit idéal pour une invention de rupture »
Au vu des compétences d’adaptation des bactéries, la réduction de la prescription d’antibiotiques est nécessaire mais ne semble pas suffisante. Il existe plusieurs stratégies. « Trouver de nouvelles molécules antibiotiques en est une, mais elle n’est pas la seule », souligne Antoine Andremont. Certains souhaitent (ré)utiliser des bactériophages, des virus mangeurs de bactéries, méthode abandonnée au milieu du XXe siècle avec l’avènement des antibiotiques. D’autres pensent à profiter du ‘ciseau génétique’ Crisp-Cas9. L’objectif est ici d’insérer cet outil dans les bactéries afin qu’il découpe les séquences génétiques responsables de la résistance et les tue. Autres pistes : explorer l’environnement pour trouver de nouveaux microorganismes capables de neutraliser les bactéries ou fausser les échanges chimiques entre bactéries pour réduire la virulence. On peut également essayer d’empêcher les antibiotiques d’altérer notre microbiote et de stimuler les résistances au cours des traitements. « Il ne faut pas seulement chercher à tuer les bactéries résistantes mais aussi à limiter leur circulation dans l’environnement, souligne le spécialiste. Et de conclure : « Les pistes actuelles sont intéressantes mais il faudrait peut-être une invention de rupture. Et la recherche académique, notamment au CEA, est un endroit idéal pour cela ! »
[1] Après le VIH-sida, les maladies non transmissibles et Ebola
[2] Source : Ministère des Affaires sociales et de la Santé, octobre 2015
[3] Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé