La ricine est une toxine de plante dont on redoute l'usage à des fins criminelles ou bioterroristes et contre laquelle il n'existe pas de traitement approuvé. En 2005, dans le cadre du programme interministériel de R&D contre les risques NRBC-E, confié par les pouvoirs publics au CEA, le SIMOPRO, en collaboration avec le SCBM, a criblé une banque commerciale de 16,000 petites molécules (ChemBridge™ DIVERSet™) afin d'identifier des composés actifs contre la ricine. Trois molécules capables de protéger les cellules ont été isolées. Le mécanisme qui sous-tend l'effet protecteur des deux premières, Retro-1 et Retro-2 a été décrit en 2010 dans la revue
Cell. La troisième, appelée ABMA, fait l'objet de la présente étude, publiée dans
Scientific Reports.
ABMA agit en perturbant la physiologie des endosomes tardifs, appelés aussi corps multi vésiculaires. Lorsqu'une cellule internalise des éléments extérieurs (nutriments, facteurs de croissance, toxines ou pathogènes...), ceux-ci sont enfermés dans une vésicule membranaire qui mature pour devenir un compartiment de triage appelé endosome précoce. Les éléments destinés à être dégradés sont dirigés vers des compartiments multi-vésiculaires, les endosomes tardifs, qui fusionnent ensuite avec les lysosomes primaires pour former les lysosomes secondaires. Ces petites vésicules contiennent des cocktails d'enzymes destinées à dégrader le contenu provenant des endosomes tardifs. En présence du composé ABMA, les endosomes tardifs s'accumulent et leur contenu n'atteint pas les compartiments de dégradation (Figure 1).
De nombreuses toxines de bactéries, des virus, des parasites, des bactéries intracellulaires utilisent cette voie de transport pour infecter les cellules et résistent à la dégradation finale en s'échappant des compartiments intra cellulaires vers le cytoplasme ou en modifiant leur destination. Les chercheurs ont montré qu'ABMA, en agissant sur les endosomes tardifs, protège les cellules contre quatre toxines bactériennes (diphtérie, charbon, ToxB de
C. difficile, LT de
C. sordellii), trois virus (Ebola, rage et dengue), le parasite de la leishmaniose et deux bactéries intracellulaires responsables d'infections pulmonaires, oculaires et génitales (Simkania negevensis et
Chlamydia trachomatis) (Figure 2). Enfin, ABMA est capable de protéger des souris contre une dose mortelle de ricine.
Ces résultats montrent qu'ABMA est capable d'inhiber toxines ou agents infectieux empruntant la voie des endosomes tardifs pour pénétrer dans la cellule. Des analogues optimisés sont d'ores et déjà à l'étude pour obtenir des molécules à visée thérapeutique anti-infectieuse de spectre large.
* Equipes collaboratrices :
Emmanuel Lemichez et Michel R. Popoff, Institut Pasteur (Toxines)
Robert Davey, Texas Biomedical Research Institute (Ebola et Marburg)
Noël Tordo, Institut Pasteur (Rage)
Roger Le Grand, DRF/Jacob et Pascal Clayette, Oncodesign (Dengue)
Philippe Loiseau, Université Paris-Sud (Leishmaniose)
Thomas Rudel, Université de Würtburg (Simkania et Chlamydiae)
Didier Sauvaire, ANSM (modèle souris)
Claire Boulogne, I2BC (microscopie électronique)