L’espèce humaine est la seule chez laquelle on observe une asymétrie du comportement moteur fortement majoritaire : 90% de la population utilise préférentiellement la main droite et 10% la main gauche. Ce comportement moteur est dit « croisé » : si on utilise la main droite, c’est l’hémisphère cérébral gauche, alors considéré comme dominant, qui est activé. Le langage, avec le comportement moteur, est une des fonctions les plus latéralisées du corps humain : en fonction des personnes, les réseaux d’aires cérébrales contrôlant la parole sont situés préférentiellement dans l’hémisphère gauche ou dans l’hémisphère droit du cerveau. De nombreuses études ont montré que l’hémisphère gauche, comme pour le comportement moteur, est dominant pour le langage dans 90% des cas.
Les 10% de gauchers de la population correspondent-ils au 10% des individus dont le langage est situé dans l’hémisphère droit du cerveau ? La localisation des aires du langage dans le cerveau est-elle alors corrélée au fait d’être droitier ou gaucher ? Pour répondre à cette question, les chercheurs du Groupe d’imagerie neurofonctionnelle ont tout d’abord recruté un large échantillon de participants (297) très fortement enrichi en gauchers (153). Alors que la plupart des autres études ne concernent que des droitiers (majoritaires dans la population) les chercheurs ont analysé, pour la première fois, la latéralisation du langage chez un grand nombre de droitiers et de gauchers. Les sujets de cet échantillon ont ensuite subi une IRM fonctionnelle alors qu’ils effectuaient des tests de langage. Trois types de latéralisation pour le langage ont ainsi été révélés à partir des images obtenues (voir figure 1) : « typique » avec un hémisphère gauche dominant (présent chez 88% des droitiers et 78% des gauchers), « ambilatéral » sans hémisphère clairement dominant (présent chez 12% des droitiers et 15% des gauchers), « très atypique » avec un hémisphère droit dominant (présent uniquement chez 7% des gauchers). L’analyse statistique de cette distribution montre que la concordance entre l’hémisphère dominant pour les activités manuelles et celui pour le langage se fait au hasard, sauf pour une petite fraction de la population (moins de 1%) pour laquelle l’hémisphère droit est dominant à la fois pour le langage et pour la main.
Ces résultats montrent donc qu’il n’est pas possible de déterminer l’hémisphère dominant pour le langage en connaissant seulement la préférence manuelle d’un individu. Les chercheurs vont maintenant tenter de comprendre pourquoi seul un petit groupe de gauchers possède un hémisphère droit dominant pour le langage, en déterminant en particulier s’il existe des variants géniques qui expliqueraient ce phénomène. Ces résultats démontrent également qu’un échantillon enrichi en gauchers, composé à partir d’une grande base de données, permet, à la différence d’un échantillon essentiellement constitué de droitiers, de mettre en évidence des facteurs de variabilité des bases structurales et fonctionnelles du cerveau humain : la détermination de ces sources de variabilité dans la latéralisation du langage ouvre la voie vers une meilleure compréhension des pathologies du langage.