Ce ralentissement est étroitement corrélé à l’activité
électrique des neurones, plus que les changements de débit sanguin sur
lesquels repose aujourd’hui l’IRM fonctionnelle. Ce ralentissement
diffusionnel traduit a priori des changements
dynamiques dans la structure microscopique du cortex cérébral, comme un
gonflement de ses cellules lors de leur activation. Ce couplage «
neuromécanique » entre forme et fonction cellulaire représente donc une
approche radicalement différente pour l’imagerie fonctionnelle cérébrale
potentiellement plus représentative du fonctionnement cérébral que le
couplage neurovasculaire sur lequel repose l’IRM fonctionnelle
aujourd’hui. Cette nouvelle approche devrait aussi permettre aux
scientifiques de mieux comprendre les processus cellulaires qui
sous-tendent l’activation neuronale et le rôle de l’eau dans ces
processus.
Ces résultats viennent d'être publiés dans PNAS.
Apparue
dans les années 1980, l’imagerie par résonance magnétique nucléaire
(IRM) est un outil puissant de diagnostic et de recherche
neurobiologique. Cette technologie d’analyse du cerveau repose sur
l’utilisation des propriétés magnétiques des atomes d’hydrogène présents
dans les molécules d’eau qui constituent 90% des molécules de notre
cerveau. L’IRM fonctionnelle (IRMf) est utilisée pour étudier l’activité
cérébrale. Elle permet de détecter l’activité des régions cérébrales
associées à des stimulations sensorimotrices ou cognitives comme la
parole ou la lecture, qui se traduisent par une augmentation locale du
débit sanguin dans les régions activées et de la teneur en oxygène du
sang. Malgré son énorme succès cette approche, appelée BOLD (Blood Oxygenation Level Dependant),
a toutefois des limites : la détection des régions activées reste
indirecte et tributaire d’un couplage neurovasculaire dont les
mécanismes ne sont pas encore complètement élucidés et qui peut être
altéré ou faire défaut dans certaines situations (présence de certains
médicaments, de pathologies, anesthésie, etc.). L’activation cérébrale
n’est alors plus détectable de façon fiable. De plus, la précision
spatiale et temporelle des images IRMf BOLD reste intrinsèquement
limitée par sa nature même, la réponse vasculaire n’atteignant son
maximum qu’environ 6 secondes après le début d’activation neuronale, et
continuant aussi plusieurs secondes après l’arrêt de l’activation.
L’IRM
de diffusion, dont Denis Le Bihan est le pionnier (1985), permet, elle,
d’obtenir des images dont le contraste dépend du coefficient de
diffusion de l’eau. La diffusion de l’eau est entravée par les éléments
constituant le tissu cérébral, notamment les membranes cellulaires.
Toute modification dans l’organisation de ces tissus se traduit par une
altération de la diffusion de l’eau qui devient visible en IRM de
diffusion. Ainsi, dans les accidents vasculaires (AVC) à la phase aigüe,
la diffusion de l’eau ralentit de manière très importante dans les
territoires privés de sang, en lien avec le gonflement important des
neurones précédant leur mort. L’IRM de diffusion qui en permet le
diagnostic en urgence est aujourd’hui utilisée en routine en milieu
hospitalier. En 2006, une équipe de chercheurs franco-japonais dirigée
par Denis Le Bihan avait montré par IRM de diffusion que la diffusion de
l’eau diminuait légèrement dans le cortex visuel de volontaires lors de
stimulation visuelle, et ce de manière plus rapide que la réponse
vasculaire observée par l’IRMf BOLD. L’hypothèse suggérée était que
l’IRM de diffusion détectait des changements microscopiques dans la
structure du cortex cérébral (comme un gonflement cellulaire) associés à
l’activation des neurones. Cette interprétation est toutefois restée
controversée, l’IRM de diffusion pouvant aussi être sensible aux
changements vasculaires à l’origine de l’effet BOLD.
Aujourd’hui,
les chercheurs de NeuroSpin (centre CEA de Saclay) montrent dans une
série d’expériences menées chez le rat par IRM à 7 teslas dans
différentes conditions de stimulations neuronales, que le ralentissement
de la diffusion de l’eau dans le cortex n’est pas d’origine vasculaire,
mais bien directement d’origine neuronale. Après administration de
nitroprusside, un médicament qui supprime le couplage neurovasculaire,
la réponse diffusionnelle visible en IRM de diffusion persiste, alors
que la réponse IRMf BOLD disparait. De plus, la modulation de la
diffusion de l’eau dans le cortex activé suit beaucoup plus fidèlement
et précisément dans le temps l’activité électrique enregistrée dans ce
cortex que la réponse IRMf BOLD. Ce ralentissement diffusionnel traduit
des changements dynamiques dans la structure du cortex cérébral activé,
comme un gonflement d’éléments cellulaires, relevant d’un nouveau
mécanisme de couplage qualifié par les auteurs de neuromécanique,
associant la forme cellulaire à son état fonctionnel. L’IRM de diffusion
apparait donc non seulement comme une approche radicalement nouvelle
pour l’imagerie fonctionnelle cérébrale par rapport aux techniques
existantes reposant sur le couplage neurovasculaire, mais elle ouvre
aussi des perspectives importantes pour comprendre les processus
cellulaires associés à l’activation neuronale et le rôle de l’eau dans
ces processus.