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Années 1940 et 1950 : utilisation des radioisotopes pour étudier certains organes
En recevant le prix Nobel de chimie en 1935, Frédéric Joliot, l’un des pères fondateurs du CEA, évoquait déjà l’utilisation des radioisotopes à vie courte en médecine, pour la recherche et la thérapie. Cette voie va être explorée dix ans plus tard par le CEA. Elle est intimement liée au développement de l’imagerie médicale. Dès la divergence de la
pile Zoé à Fontenay-aux-Roses en 1948,
l’iode 131 produit est utilisé pour marquer de la thyroxine (une hormone) et étudier la fonction thyroïdienne.
Dans les années qui suivent, les radioéléments se diversifient : or 198, mercure 203 ou encore xénon 133 seront fournis
par les réacteurs nucléaires EL2, EL3 et Osiris, mis en service à Saclay entre 1953 et 1966. Des « détecteurs à scintillation », encore peu performants, localisent les traceurs radioactifs émetteurs de rayons gamma injectés au patient, mais ne donnent pas encore d’images des organes.
Les premiers pas de l’imagerie médicale
C’est avec
la découverte des rayons X par le physicien allemand Wilhelm Röntgen
qu’apparaît l’imagerie médicale en 1896. Un an plus tard, Antoine Béclère, chef de service à l’hôpital Tenon, à Paris, acquiert en 1897 un radioscope avec lequel sont effectués les premiers dépistages de la tuberculose via des radiographies des poumons.
Le développement de l’imagerie médicale se poursuit pendant la Grande Guerre, avec notamment la mise en place, par Marie Curie, de voitures radiologiques sillonnant les champs de bataille pour repérer les éclats d’obus chez les soldats blessés.
En 1934, la découverte de la radioactivité artificielle par Frédéric et Irène Joliot-Curie, physiciens et chimistes français, ouvre la voie au développement des radioéléments de courte durée de vie. Associée à l’utilisation de traceur pour cibler des phénomènes biologiques, initiée par le chimiste hongrois George de Hevesy, elle pose le principe de l’imagerie fonctionnelle et moléculaire.
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Années 1960 : développement d’applications médicales, de la TEMP à la scintigraphie
En 1958,
le CEA crée le Service hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ) au sein même de l’hôpital d’Orsay (Essonne),
pour développer les applications médicales de ces radioisotopes.
«
Comme l’avait rêvé Frédéric Joliot, le CEA, via le SHFJ, a été pionnier en médecine nucléaire et l’exploration du vivant avec le développement de radiopharmaceutiques à partir des radioisotopes produits par les réacteurs du CEA, au service du diagnostic, du suivi et des évaluations thérapeutiques. Le SHFJ a ainsi contribué à accélérer les innovations et l’émergence de nouvelles techniques d’imagerie moléculaire, au bénéfice du patient », explique Vincent Lebon, chef du SHFJ.
À la même époque, les Américains inventent la caméra à scintillation, qui conduira à la Tomographie par émission monophotonique (TEMP). En multipliant les détecteurs gamma placés en couronne autour du patient, et grâce à une méthode de reconstruction, il est désormais possible d’obtenir une vraie image. Le SHFJ suit la voie ouverte et acquiert sa première caméra en 1961. La technique donnera naissance à la
scintigraphie, examen diagnostique très utilisé en oncologie, en imagerie cardiaque ou pour suivre la fonction thyroïdienne.
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Années 1970 et 1980 : l’imagerie se précise
C’est durant les années 1970 et 1980, lorsque l’imagerie médicale « explose », que l’expertise du CEA prend toute sa dimension.
La tomographie par émission de positons (TEP)
En 1975,
le SHFJ inaugure le premier
cyclotron médical français opérationnel, produisant entre autres du carbone 11 et du fluor 18. Il devient très vite un centre réputé de synthèse de
radiopharmaceutiques.
En 1978,
le SHFJ est le premier centre européen à s’équiper d’une
caméra TEP (tomographie par émission de positons), technologie née au début des années 1970, aujourd’hui couramment utilisée en oncologie. Proche de la TEMP par son principe, la TEP utilise des radioisotopes différents.
Elle donne des images fonctionnelles des organes plus précises, et surtout acquises en quelques secondes au lieu de quelques minutes, ce qui permet de suivre des processus biologiques rapides.
«
Le CEA construit aussi des appareils d’imagerie complets. À cette époque (1970-1980), trois laboratoires de Grenoble travaillent sur les détecteurs, l’électronique et la reconstruction d’image », précise Francis Glasser, ingénieur-chercheur, coordination des programmes au CEA-Leti.
Les équipes brevètent ainsi en 1984 le principe d’une caméra TEP « à temps de vol », qui donne des images d’une précision spatiale alors inédite. Trois prototypes seront installés en 1990, dont un au SHFJ. Ce principe du temps de vol est aujourd’hui utilisé dans tous les appareils commerciaux.
Les équipes conçoivent également une caméra à scintillateurs liquides, qui équipera le SHFJ en 1988 pour la TEMP.
L’émergence de l’IRM
Dans les années 1970, émerge un autre type d’imagerie :
l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Ici, nul besoin de traceur radioactif injecté au patient. Basée sur le phénomène de résonance magnétique nucléaire (RMN), l’IRM utilise des champs magnétiques produits par de puissants aimants et révèle les détails anatomiques des tissus mous : muscles, cerveau et organes. Le CEA dispose alors à Saclay d’une véritable « école de la RMN », dirigée par Anatole Abragam et Maurice Goldman, à l’origine de plusieurs découvertes théoriques majeures dans les années 1960 et 1970.
« J’ai assisté en 1973 aux deux premières présentations devant des auditoires de physiciens du principe de l’IRM. Cela nous apparaissait comme une curiosité intéressante, certes mais sans plus. La raison en est que les images obtenues étaient très grossières et peu résolues et ne semblaient pas promises à un grand avenir. Nous, les anciens, n’avions pas vu venir deux développements techniques destinés à bouleverser non seulement la science mais toute l’activité humaine : l’avènement des
aimants supraconducteurs produisant des champs magnétiques élevés et homogènes dans de gros volumes, et surtout l’émergence de « l’âge du numérique » et ses énormes capacités de stockage des données et de calcul sur ces données», confie Maurice Goldman.
En parallèle, à Grenoble, existe un savoir-faire dans le domaine du magnétisme, apporté par Louis Néel, prix Nobel de physique en 1970 et premier directeur du centre CEA de Grenoble.
Installation d'un aimant de 2T au SHFJ en 1985
© CEA / Pierre Jahan, archives historiques J2387
Création du Magniscan
En 1985, le SHFJ inaugure ainsi
un énorme aimant de 2 teslas – un record pour l’époque –, et s’apprête à devenir un centre pionnier pour l’IRM. Développé par les physiciens du CEA, cet appareil servira entre autres à des études marquantes sur la myopathie.
À la même époque, la Compagnie générale de radiologie (rachetée par General Electric en 1987) crée, notamment avec les équipes du CEA-Leti, le premier vrai appareil d’IRM français : le Magniscan de 0,5 T. C’est sur cette machine queDenis Le Bihan, alors interne en radiologie, met au point le concept de l’IRM de diffusion en 1985.
Cette innovation majeure est aujourd’hui utilisée dans le monde entier pour détecter en urgence les premiers signes d’AVC, évitant aux patients de lourds handicaps, et aussi en cancérologie pour visualiser les tumeurs.
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Années 1990 : l’IRM devient fonctionnelle
Deuxième tournant au début de la décennie suivante : l’IRM devient fonctionnelle. Cette nouvelle modalité, qui repose sur le niveau d’oxygénation du sang, permet de « voir le cerveau travailler » et commence à concurrencer la TEP.
En 1992, le SHFJ acquiert alors un imageur de 3 teslas – encore un record – et se lance dans l’IRM fonctionnelle, étudiant en particulier le cerveau sain ou malade.
À la même époque, l’équipe RMN du CEA s’implique très fortement dans la formation des médecins et dans le formalisme quantique, qui permet de bien appréhender la RMN et l’IRM en s’appuyant sur l’essor de l’informatique.
Le premier scanner français
La tomodensitométrie, qui consiste à recréer des images X en trois dimensions, plus communément appelée « scanner », est aujourd’hui la technique d’imagerie 3D la plus courante dans les hôpitaux. C’est au CEA-Leti que l’on doit le développement du premier appareil français en 1975, installé en 1979 au CHU de Grenoble avec la Compagnie générale de radiologie. À partir des années 1990, le CEA-Leti se lance dans les détecteurs en matériau semi-conducteur. En 2011, il transfère sa technologie à Siemens Healthineers, qui a récemment annoncé les performances inédites de ses premiers prototypes.
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Années 2000 et 2010 : de nouvelles perspectives en imagerie
Création de NeuroSpin
Les champs de recherche en IRM sont alors immenses, tout comme l’expertise du CEA.
Ils déboucheront en 2007 sur la création de
NeuroSpin. Ce
centre unique en Europe est dédié à l’imagerie cérébrale, en particulier grâce à de puissants imageurs IRM.
«
Avec celui du
projet Iseult et ses 11,7 teslas, nous allons observer le cerveau à l’échelle de quelques milliers de neurones et pourrons tester des hypothèses totalement nouvelles sur son fonctionnement », s’enthousiasme Denis Le Bihan, directeur de recherche à NeuroSpin et initiateur du projet Iseult.
«
A NeuroSpin, il y a non seulement Iseult, qui est encore en gestation, mais il y a aussi 6 ou 7 autres machines, souvent des IRM mais aussi d’autres types de machines (MEG,...) qui permettent d’en faire un centre de neurosciences au meilleur niveau grâce à des techniques d’imagerie diverses et variées, précise Jean-François Mangin, directeur de recherche à NeuroSpin.
Il y a de plus cette volonté propre au CEA de favoriser les synergies entre les médecins, les physiciens, les informaticiens et les psychologues, souvent porteuses d’idées nouvelles. Par exemple, à NeuroSpin, on accueille une équipe de l’INRIA, ce qui a conduit, il y a une douzaine d’années, à développer «
Scikit-Learn », une librairie open-source de
machine learning. C’est aujourd’hui une des plus utilisées dans le monde, aussi bien dans la recherche que dans l’industrie, alors qu’elle est née dans un centre de recherche sur le cerveau. On pourrait penser qu’elle aurait dû voir le jour dans un centre de recherche en informatique, mais elle est née à NeuroSpin. »
NeuroSpin © © Vasconi associés architectes
Ces travaux en neurosciences vont de pair avec une R&D constante sur toutes les composantes des appareils (antennes pour la transmission des signaux cérébraux, gradients de champs magnétiques, etc.) et sur les algorithmes de reconstruction d’images.
L’irruption du big data et de l’IA
Les années 2000 voient aussi l’irruption du
big data et la naissance de
l’intelligence artificielle (IA), des domaines dans lesquels le CEA a, là aussi, développé un savoir-faire reconnu.
© Fotolia
Améliorer des process actuels
L’IA permet d’automatiser ou rendre plus fiables des process déjà mis en place en radiologie. «
L’IA peut détecter des tumeurs qui auraient pu échapper à un radiologue, explique Jean-François Mangin.
L’IA est très forte pour voir des motifs dans les images presque imperceptibles pour les hommes. Pour les activités du CEA, très focalisées sur le cerveau, on peut grâce à l’IA détecter des signes de pathologies de façon très précoce, parfois même avant les symptômes cliniques. Par exemple, dans la maladie d’Alzheimer, on voit des atrophies ou dépôts de protéines anormaux, avant que les gens aient le moindre symptôme. Cela représente un espoir de prédiction très précoce, dès le début de la pathologie, à des stades où on a plus de chance de trouver des thérapies efficaces. »
Compiler des données à grande échelle
Lorsque l’on veut découvrir quelque chose avec certitude sur une pathologie cérébrale,
il faut rassembler des milliers de cas, d’où une énorme masse de données. Là aussi, l’IA a son rôle à jouer. En témoigne, par exemple,
la plateforme Cati (Centre d’acquisition et de traitement d’images) pour la maladie d’Alzheimer, qui coordonne une centaine d’imageurs IRM et TEP répartis sur toute la France et en Europe, et qui compte aujourd’hui des images de plus de 10 000 cerveaux de patients.
© AdobeStock
«
CATI a été créée pour les besoins de la recherche sur la maladie d’Alzheimer, indique Jean-François Mangin.
Or, le besoin d’avoir de très grandes bases de données agrégeant des images de patients est le même pour beaucoup d’autres pathologies. Aujourd’hui, CATI est utilisée sur plus d’une vingtaine de pathologies du cerveau, aussi bien sur les pathologies du vieillissement qu’en psychiatrie.»
Demain
Et demain ?
Soixante-quinze ans après sa création, le CEA s’est forgé une place incontestée dans le panorama de l’imagerie médicale.
Le SHFJ est ainsi devenu un grand centre européen d’exploration fonctionnelle, au service de la recherche et de la clinique, tant pour le diagnostic que pour la thérapie. Ses équipes se concentrent sur les maladies cérébrales et l’oncologie.
NeuroSpin excelle dans ses travaux sur les maladies neurologiques et neurodégénératives , les mécanismes et troubles cognitifs. Et la recherche continue au CEA-Leti, engagé dans plusieurs programmes de R&D et partenariats industriels pour développer la prochaine génération d’imageurs.
Par ailleurs, la sensibilité extrême de nouveaux capteurs magnétiques développés au CEA-IRAMIS permet de conduire des recherches pour le développement d'une IRM bas champ, qui présenterait le double avantage de disposer de dispositifs mobiles, pour un coût limité.
L'hôpital du futur
Afin d’accélérer le développement de technologies innovantes au sein de l’hôpital et leur transfert clinique et industriel, l’Université Paris-Saclay et le CEA conduisent actuellement le projet PASREL (PAris-Saclay REcherche & hôpitaL), alliant expertises médicales et technologiques des laboratoires de Paris-Saclay et des équipes du SHFJ.
A horizon 2024, une plateforme collaborative de recherche et d’innovation sera adossée au futur hôpital de Paris-Saclay, pour favoriser les synergies entre les différents acteurs du territoire, de l’hôpital aux communautés de recherche en passant par les start-ups et les industriels. « Avec le projet PASREL, nous allons poursuivre ce que nous avons entrepris dans le domaine de l’imagerie, ainsi proposer une structure collaborative de recherche transverse et multidisplinaire, pour accélérer les innovations dans d’autres technologies de la santé, comme la multiomique* ou la robotique médicale. Ce projet va se concrétiser avec le déménagement du SHFJ en 2026 dans ce futur ensemble hospitalier », précise Vincent Lebon.
*Les « omiques » désignent les techniques de caractérisation collective de pools de molécules biologiques impliqués dans la structure, la fonction et la dynamique d'un ou plusieurs organismes (ex : métabolomique, protéomique, génomique…). Le « multi-omiques » désigne la combinaison de plusieurs techniques « omiques ».