L'absorption de CO2 par la photosynthèse permet aux végétaux de produire de la biomasse. On s'attend à ce que les cultures produisent davantage de biomasse lorsque la concentration de CO2 est plus élevée. Cet effet bénéfique de fertilisation est toutefois conditionné à un apport suffisant en nutriments indispensables, au nombre desquels figure le phosphore.
Pour étudier les réactions de la biosphère à une concentration élevée en CO2, les scientifiques utilisent une technologie d'enrichissement de l'air en CO2 (Free Air CO2 Enrichment ou FACE) pour des sites avec de la végétation. Ces expériences sont particulièrement coûteuses et difficiles à conduire.
Une collaboration impliquant le LSCE a réalisé la première étude décennale sur le phosphore dans les rizières, avec deux expériences rares et précieuses de 15 et 9 ans, pendant lesquelles des rizières ont été cultivées sous atmosphère enrichie en CO2.
Les résultats montrent que le phosphore disponible dans le sol au début de chaque expérience diminue de plus de 20 % lorsque le CO2 est plus élevé, car il est fixé par la plante dont les grains sont récoltés et donc perdus pour le sol.
En procédant à un examen systématique des processus possibles et de multiples indicateurs pédologiques, végétaux, microbiens et géochimiques, les chercheurs montrent qu'au final, il y a un appauvrissement des sols en phosphore. En effet, son immobilisation dans les sols sous des formes non disponibles pour les plantes et les prélèvements liés à la récolte des grains l'emportent sur l'accroissement de son transfert vers les plantes, causé par une atmosphère enrichie en CO2.
Comment compenser ce déséquilibre ?
Les agriculteurs savent certes quand et comment nourrir leurs cultures avec des engrais phosphorés. Est-il possible de compenser la réduction de phosphore induite par le CO2 en excès en ajoutant des engrais ?
Dans le passé récent, la fertilisation excessive en phosphore pour maximiser la production agricole a conduit à l'accumulation de cet élément dans les sols d'Europe, d'Amérique du Nord et d'Asie du Sud-Est. Le phosphore en excès dans le sol disparaît sous l'action du ruissellement, du lessivage et de l'érosion. Une fois dans l'eau, le phosphore perdu par les sols cultivés peut favoriser la prolifération d'algues nuisibles et accroître la mortalité des poissons dans les estuaires et les eaux côtières (eutrophisation).
Par ailleurs, tous les pays ne disposent pas d'un accès équitable aux engrais phosphorés. Ceux-ci sont produits à partir de phosphate naturel dont le Maroc et le Sahara Occidental possèdent, à eux seuls, environ 70 % des réserves mondiales.
Dans les régions qui ne peuvent importer davantage d'engrais phosphoré ou dont les sols très altérés immobilisent le phosphore sans qu'il soit disponible pour la plante, un déficit prolongé en phosphore pourra affecter les rendements agricoles. Ainsi, pendant la crise alimentaire mondiale de 2007-2008, la demande de roche phosphatée et d'engrais avait bondi de 400 % en 14 mois, entraînant une tension sur les prix des denrées agricoles.
Les scientifiques soulignent la nécessité de stratégies de gestion du phosphore, tenant compte des futurs changements mondiaux. Ils prédisent un risque accru de réduction du rendement du riz, en particulier dans les pays à faibles revenus, avec l'augmentation de la concentration atmosphérique en CO2, sans apport adéquat d'engrais phosphoré.