En France, entre 18% et 24% des couples ne parviennent pas à avoir d'enfant après un an de rapports sexuels réguliers sans contraception[1]. Selon l'Institut de veille sanitaire, on observe une diminution significative de la concentration spermatique chez les hommes français, de 1,9% par an sur la période 1989-2005. Modéliser l'infertilité masculine est d'un intérêt grandissant pour comprendre, voire corriger, l'oligozoospermie (quantité de spermatozoïdes inférieure à 15 millions/ml) ou l'azoospermie (absence totale de spermatozoïdes).
« Il existe peu de modèles d'étude de la différenciation des cellules germinales ou sexuelles (gamètes), explique Lucie Tosca, partenaire de l'étude, chercheuse et praticienne hospitalière de l'hôpital Antoine Béclère, à Clamart. Nous recrutons de plus en plus de patients infertiles et nous nous sommes rapprochés du CEA pour concevoir un modèle d'étude génétique. » Les chercheurs ont utilisé des cellules sanguines d'un patient azoosperme et leur ont administré une cure de jouvence pour qu'elles redeviennent souches, c'est à dire qu'elles rajeunissent jusqu'au stade embryonnaire. « Cette technique révolutionnaire a été inventée par le Japonais Shinya Yamanaka, prix Nobel de médecine 2012, raconte Frank Yates, chercheur à l'Institut François-Jacob. Elle permet d'induire des cellules souches pluripotentes pour ensuite les différencier vers le tissu qui nous intéresse. »« Ainsi, on peut reprogrammer n'importe quelles cellules d'un patient pour les rendre pluripotentes, par exemple les cellules sanguines, et provoquer leur différenciation vers des cellules germinales», poursuit sa collègue Leïla Maouche Chrétien.
A quel moment la différenciation est-elle bloquée, empêchant la cellule germinale de se former ? « Le modèle que nous avons créé nous permettra de répondre à cette question », précise la scientifique. Est-il concevable que les chercheurs puissent lever ce verrou pour provoquer la production de spermatozoïdes ? « Absolument pas. La règlementation et l'éthique nous l'interdisent. En revanche, nous pourrons lever l'inhibition in vitro pour aller plus loin dans la compréhension des mécanismes moléculaires mais en bloquant la formation de gamètes. »
Si la découverte de Shinya Yamanaka est le point de départ de ce modèle, les techniques d'induction des cellules souches pluripotentes in vitro ont déjà beaucoup évolué. « Aujourd'hui, aucune modification génétique des cellules de départ n'est nécessaire, explique Frank Yates. On utilise comme vecteur un virus non pathogène, le virus Sendai (de la même famille que celui de la rougeole) pour entrer dans la cellule sanguine, exprimer des protéines de pluripotence. Ce n'est pas invasif, car ce virus, très fragile, restera présent moins de 15 jours. » Une fois les cellules rajeunies, il suffira de les mettre en présence d'un milieu de culture approprié pour provoquer la différenciation souhaitée.
Comme indiqué plus haut, ces travaux n'ont pas vocation à créer des gamètes pour des patients infertiles. Toutefois, la compréhension des verrous biologiques dans la différenciation des cellules souches en gamètes permettra peut-être un jour la mise au point de médicaments capables de les lever.
[1] Selon l'enquête nationale périnatale 2003 et l'Observatoire épidémiologique de la fertilité en France 2007-2008