Particule insaisissable et mystérieuse, à la saveur « transformiste », le neutrino pourrait fournir un jour la clé de plusieurs énigmes de la physique.
Ciblant une combinaison de la masse des trois neutrinos connus, KATRIN (Karlsruhe tritium neutrino experiment) observe la désintégration radioactive du tritium au cours de laquelle un électron et un neutrino (de saveur électronique) sont libérés. Dans des cas rarissimes, l'électron emporte la quasi-totalité de l'énergie disponible. Seule manque l'énergie du neutrino au repos, associée à sa masse. C'est cette infime déficit qui est mesuré dans la gigantesque « balance » où circule un gaz de tritium de haute pureté.
Or la décroissance bêta du tritium permet également de rechercher la trace éventuelle d'un 4e type de neutrinos (stériles) qui seraient capables de se transformer, au cours de leur propagation, en une des trois saveurs de neutrinos, tout en restant insensibles à l'interaction faible (radioactivité, fusion nucléaire, etc.). L'existence d'une ou plusieurs familles de neutrinos supplémentaires permettrait d'expliquer des anomalies observées par des chercheurs de l'Irfu sur les neutrinos de réacteurs nucléaires.
Comment les chercheurs de KATRIN ont-ils procédé ? Parmi les quelque 60 milliards d'électrons émis par la source de tritium chaque seconde, seuls 2 millions – en particulier ceux dont l'énergie est proche de l'énergie maximale du spectre bêta – sont sélectionnés pour être analysés. La signature attendue des neutrinos stériles est une « cassure » en forme de coude sur le spectre lisse de ces électrons.
Aucun signal significatif de neutrinos stériles n'a été observé dans la gamme de masse d'environ 2 à 40 eV observable dans KATRIN (plus large que celle des neutrinos de réacteurs < 10 eV). Ce résultat dessine de nouvelles limites d'exclusion plus étendues que celles déterminées par de précédentes expériences comparables, à Mayence (Allemagne) et à Troitsk (Russie) à la fin des années 1990.
Un chercheur de l'Irfu a coordonné l'analyse des spectres pour la collaboration KATRIN, en établissant une stratégie innovante de traitement des données. En collaboration avec le Max Planck Institut für Physik (Munich), il a également mis au point une nouvelle chaîne d'analyse complète, utilisant l'approche des matrices de covariance pour étudier et propager les erreurs systématiques et leurs corrélations.
L'expérience internationale KATRIN, qui rassemble vingt instituts de recherche provenant de sept pays, est hébergée à l'Institut de technologie de Karlsruhe (KIT) en Allemagne.