Le mélanome est un cancer cutané rare (2 à 3 % des cancers). Son incidence annuelle est en constante augmentation depuis 50 ans. Il dérive de mélanocytes, les cellules pigmentées de la peau. Des mutations successives dans leur génome leur confèrent la capacité de se multiplier à l’infini et les transforment en cellules malignes. Les généticiens ont retrouvé dans un mélanome sur deux la mutation oncogénique V600E sur le gène B-RAF, mais les mécanismes sous-tendant la transformation maligne de mélanocytes sont complexes et loin d’être tous compris. Premières observations : lorsqu’elle est exprimée dans des cellules sans autre mutation associée au cancer la mutation B-RAF-V600E arrête la prolifération d'une manière particulière, potentiellement définitive. On parle alors de sénescence cellulaire. Les grains de beauté sont d'ailleurs composés de mélanocytes sénescents, pour la plupart à cause de l'expression de B-RAF-V600E. Dans l'immense majorité des cas, ces grains de beauté restent bénins ce qui montre l'efficacité de la sénescence pour bloquer le développement de tumeurs. Cependant, et c'est la deuxième observation, plus du quart des mélanomes se développent à partir d’un grain de beauté. Ainsi, pour que des mélanocytes porteurs de la mutation B-RAF-V600E se transforment en cellules malignes, les scientifiques imaginent que l’apparition de mutations supplémentaires (liées à l’exposition aux UV par exemple) permet d'échapper à leur sénescence et de recommencer ou de continuer à proliférer.
Une équipe du SBIGEM (I2BC@Saclay) étudie les mécanismes de la sénescence cellulaire déclenchée par B-RAF-V600E ou d'autres stress comme les dommages de l'ADN. Elle a créé des lignées modèles de cellules humaines dans lesquelles il est possible de moduler la production du mutant B-RAF-V600E. Après un crible d’une banque de molécules qui avait montré un effet des glucocorticoïdes[1] sur la sénescence, ils ont décidé d’étudier leurs effets sur la sénescence induite par B-RAF-V600E. Pour cette étude, ils ont collaboré avec des équipes du SCBM (Institut Joliot) et du CNRGH (Institut Jacob).
Dans un article publié dans le Journal of Cell Science, les chercheurs montrent qu’un glucocorticoïde, le clobétasol, retarde ou court-circuite l’entrée en sénescence induite par l’expression de la mutation B-RAF-V600E dans des fibroblastes humains mais que ce composé est incapable de faire revenir des cellules déjà sénescentes à un état prolifératif. Les glucocorticoïdes sont des hormones stéroïdiennes qui en se liant à un récepteur (le récepteur aux glucocorticoïdes ou GR) relocalisent celui-ci dans le noyau. Le GR agit alors sur l’expression de nombreux gènes (transcription), de manière positive ou négative. Les chercheurs ont procédé à une analyse transcriptomique[2] et à des expériences de siRNA knock-down[3] pour identifier des gènes cibles potentiels de l’action du clobétasol contre la sénescence. Ils ont ainsi trouvé le gène EGR1 qui est exprimé de façon persistante à cause de la mutation V600E de B-RAF. EGR1 code un facteur de transcription, c’est-à-dire une protéine elle-même impliquée dans la régulation de la transcription. Parmi ses cibles, les chercheurs ont plus particulièrement identifié deux gènes dont les produits sont importants pour bloquer la prolifération cellulaire. Ils ont ainsi montré que EGR1 est important pour un arrêt rapide de la prolifération dans les cellules qui expriment B-RAF-V600E, qu'il est une cible des glucocorticoïdes, mais aussi que ces molécules ciblent d’autres gènes qui restent encore à identifier pour expliquer la totalité de leurs effets (voir figure).
Il reste maintenant à caractériser l'effet des glucocorticoïdes et le rôle de EGR1 dans des mélanocytes humains qui expriment B-RAF-V600E. Ces données incitent aussi à évaluer plus précisément l’effet des glucocorticoïdes sur des néoplasies et des tumeurs connues pour être induites par la mutation B-RAF-V600E (mélanomes mais aussi certains cancers de la thyroïdes et cancers colorectaux).
[1] Hormones apparentées à la cortisone
[2] Le transcriptome d’une cellule correspond à l’ensemble des ARN synthétisés par transcription. Il reflète le niveau d’expression des gènes.
[3] Le
siRNA knock-down consiste à mimer la suppression d’un gène en poussant la cellule à dégrader l’ARN messager issu de la transcription de ce gène, avant qu’il ne soit traduit. La dégradation est déclenchée en introduisant dans la cellule une courte séquence d’ARN complémentaire à l’ARN messager ciblé (
small interfering RNA).