Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Prix Nobel : quand les photons font « danser » les électrons

Prix & distinction | Laser | Physique | Chimie | Outils & instruments de recherche

Nobel de Physique 2023

Quand les photons font « danser » les électrons


​​​​Anne L’Huillier et Pierre Agostini étaient chercheurs au CEA-Saclay quand ils ont réalisé les expériences récompensées par le Prix Nobel de physique 2023. La première a découvert en 1986 la possibilité de générer des impulsions laser ultra-courtes et le second a montré en 2001 comment mesurer des durées attoseconde (10-18 s). Ces deux avancées expérimentales distinctes ont ouvert la voie à la physique attoseconde qui permet notamment d’étudier de manière ultime la dynamique des électrons. Au CEA-Iramis (Lidyl), la plateforme ATTOLab s’inscrit dans la lignée de ces travaux pionniers, avec déjà une belle moisson de résultats au meilleur niveau mondial.
Publié le 23 octobre 2023

Les lasers femtoseconde ou fs (10-15 s) permettent d'explorer les interactions laser-matière à l'échelle de l'atome mais pour observer la dynamique des électrons eux-mêmes, les physiciens visent des durées d'impulsion encore plus brèves, en se heurtant à une limite fondamentale.

Une impulsion très brève est nécessairement constituée de composantes spectrales à très haute fréquence. Ainsi, pour une impulsion lumineuse, la largeur spectrale associée à une impulsion de 10 fs s'étend-elle sur un quart du spectre visible ! Pour une impulsion encore plus courte, le spectre peut s'étendre au-delà de l'UV et jusqu'aux rayons X et il ne subsiste plus qu'une fraction de l'oscillation du champ électromagnétique (à sa fréquence fondamentale).

Comment aller plus loin ? La solution est venue d'un effet non linéaire spectaculaire, observé en 1987 pour la première fois à Saclay et à Chicago : la génération d'harmoniques d'ordres élevés (voir encadré) dans un gaz atomique, éclairé par un laser femtoseconde intense. Cette découverte faisait suite à des travaux pionniers, menés au CEA, à Saclay.

Premières mondiales au centre CEA de Saclay

Dès les années 1970, à Saclay, Pierre Agostini et ses collaborateurs mettaient en évidence, pour la première fois, l'ionisation multiphotonique (voir encadré).

En principe, un atome bombardé par des photons ne peut être ionisé (c'est-à-dire céder un électron) que si l'énergie des photons dépasse un certain seuil. Or, les physiciens de Saclay montraient qu'un atome éclairé par des impulsions laser intenses, et dont l'énergie des photons se situe en dessous du seuil d'ionisation, peut absorber plusieurs photons d'un coup et être ionisé (même si l'énergie des photons est loin de toute résonance avec un niveau atomique relais). C'est la découverte d'une nouvelle manière de communiquer de l'énergie lumineuse à la matière. La forte intensité laser nécessaire est obtenue en concentrant dans le temps l'impulsion laser initiale.

Une dizaine d'années plus tard, la même équipe, conduite par Anne L'Huillier, observait, pour la première fois, la génération d'harmoniques d'ordres élevés dans un gaz atomique, éclairé par un laser femtoseconde intense. Dans ce cas, l'énergie lumineuse communiquée au noyau se situe juste en dessous du seuil d'ionisation car l'électron est arraché du noyau atomique mais y retourne finalement.

Des harmoniques lumineuses

Revenons sur le film des événements dans cette expérience fondatrice. Les électrons périphériques des atomes sont soumis au champ électrique oscillant de l'onde laser, qui « écrase » le champ électrostatique dû au noyau de charge positive de l'atome. Le temps d'une demi-oscillation du champ électromagnétique, ce champ éjecte hors de l'atome l'électron et lui communique une très grande vitesse. À la demi-oscillation suivante, le champ s'inverse et l'électron revient heurter avec une violence extrême le noyau.

Ce phénomène se répète à la fréquence de l'onde laser, toutes les femtosecondes typiquement, et s'accompagne d'une émission lumineuse intense, composée d'un train d'impulsions successives, où chacun des pulses de lumière présente une durée de quelques centaines d'attosecondes seulement (1 as = 10-18 s). Cette « danse » très rythmée des électrons présente un spectre à l'allure de peigne, constitué d'un ensemble de raies qui sont les harmoniques (ou multiples) de la fréquence de l'onde incidente : des énergies jusqu'à 300 fois celle de l'onde initiale ont ainsi été relevées.

Cette génération d'impulsions ultra-brèves est justement la source lumineuse dont les physiciens rêvaient pour suivre la dynamique des électrons dans les atomes, les molécules ou les solides qui évoluent à cette échelle de temps.​

Caractériser les impulsions lumineuses

Si, dès 1994, Anne L'Huillier montre théoriquement que la synchronisation des harmoniques est possible et que leur durée peut donc être extrêmement courte, il faudra attendre 2001 et l'expérience de Pierre Agostini, chercheur dans le même laboratoire, pour montrer comment mesurer la durée d'une impulsion bien inférieure à la femtoseconde.

Auparavant, en 1994, Pierre Agostini pose les jalons de la méthode RABBIT (Reconstruction d'un battement attoseconde par interférence de transitions à deux photons) dont le principe permettra de mesurer la durée d'une impulsion attoseconde. Ce travail est réalisé en collaboration avec Harm Muller de l'Institut FOM à Amsterdam, sur la plateforme laser du Laboratoire d'optique appliquée de l'ENSTA, à Palaiseau.

Initialement proposée par une équipe de théoriciens, la méthode consiste à analyser, par spectroscopie électronique, les photoélectrons résultant de l'interaction sur des atomes d'argon, d'un mélange entre les harmoniques et une fraction du faisceau initial infrarouge. Les interférences entre les différentes voies d'ionisation permettent d'accéder à la phase relative des différentes harmoniques, ce qui permet, connaissant l'intensité, la fréquence et la phase de ces harmoniques, de remonter à la largeur temporelle des impulsions. En 2001, l'équipe de Pierre Agostini publie l'observation d'un train d'impulsions, ayant chacune une durée de 250 as.

Épurer l'impulsion lumineuse

Une équipe de l'Iramis-Lidyl a obtenu des résultats semblables, dans un solide cette fois. Alors que le verre nu est transparent à basse densité d'énergie, il devient réfléchissant au-delà d'un certain seuil, phénomène qui s'accompagne de la génération d'harmoniques d'ordres élevés. Après réflexion sur ce verre baptisé « miroir plasma », le profil temporel des impulsions est épuré et tend à ressembler à un créneau. Un profil très favorable à d'autres effets non linéaires à découvrir…

Caractériser et exploiter des ondes aussi éphémères exige de l'astuce. Les équipes de l'Iramis-Lidyl ont ainsi développé d'ingénieuses techniques pour les détecter, les isoler et optimiser leurs caractéristiques spatiales, spectrales et temporelles.

Isoler une impulsion attoseconde : le phare attoseconde

Les expériences de type pompe-sonde, où une première impulsion vient exciter le système et une seconde le sonder après un délai variable, permettent d'explorer de façon ultime la dynamique électronique, mais nécessitent des impulsions de lumière ultra-brèves, uniques et bien caractérisées à cette échelle de temps (gamme attoseconde).

Depuis une dizaine d'années, d'importants efforts de recherche ont permis de générer et mesurer de telles impulsions. Une collaboration entre les chercheurs de l'Iramis et du Laboratoire d'optique appliqué a également découvert un nouveau procédé d'une grande simplicité pour la génération d'une impulsion attoseconde unique, basé sur la génération d'harmoniques en présence d'une rotation ultrarapide du front d'onde de l'impulsion laser incidente.

Les processus multi-photoniques : deux photons rouges égalent un photon bleu

Les lasers à haute intensité lumineuse ont donné une toute autre dimension à l'optique non linéaire.

Dans ce domaine, un phénomène bien identifié, avec un faisceau laser intense, est l'absorption simultanée de plusieurs photons : un électron d'un atome éclairé par un laser rouge peut absorber simultanément deux photons. Lorsqu'il revient à son état stable, il peut émettre un photon bleu, dont l'énergie vaut alors le double de celle d'un photon rouge. Ce photon bleu s'appelle une harmonique d'ordre deux.

De même, la photoionisation multiphotonique est possible avec des photons d'énergie inférieure au seuil d'ionisation. Ce type d'étude était un sujet de prédilection de l'équipe « Multiphotons » de Claude Manus et Gérard Mainfray, où sont venus travailler Pierre Agostini puis Anne L'Huillier. Ces études ont été à l'origine de la découverte de la production d'harmoniques d'ordres élevés, qui procède d'un mécanisme bien différent, par photo-ionisation et recollision des électrons avec le noyau, et qui permet d'atteindre des harmoniques d'ordre 300.​​

Comment les lasers femtoseconde ont acquis de la puissance

La progression en puissance des lasers à impulsions ultra-courtes a longtemps été entravée par la tenue au flux des composants optiques. Jusqu'à ce qu'une astuce permette de repousser cette limite. Le spectre des impulsions laser est d'abord étiré à l'aide d'un composant dispersif, ce qui a pour effet d'allonger leur durée et de réduire d'autant leur puissance. Il est alors possible, sans dommages, d'amplifier d'un facteur 10 000 l'énergie des impulsions laser. Il suffit enfin de recomprimer le spectre pour obtenir des impulsions de même durée que les impulsions initiales, mais d'énergie bien supérieure. Cette innovation importante a été apportée en 1985 par Gérard Mourou, Prix Nobel de physique 2018.

​ATTOLab

Inaugurée en 2017, la plateforme Attolab du CEA-Iramis (Lidyl) est consacrée à la dynamique ultra-rapide de la matière. Elle​ rassemble trois installations uniques de lasers à impulsions ultra-brèves et d'optique XUV. En 2024, quatre lignes de lumière attoseconde pilotées par des lasers ytterbium remplaceront les lignes titane-saphir existantes, avec un taux de répétition plus élevé (40 et 100 kHz), une fiabilité accrue, associée à un moindre coût de fonctionnement, et une efficacité énergétique 6 fois supérieure à celle des anciennes lignes.

Quelques résultats remarquables d'ATTOLab

Haut de page