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DECRYPTAGE - L'OEIL DE L'EXPERT

Comment les changements d’occupation et d’usage des sols interagissent avec le climat ?


Les terres émergées sont une composante essentielle du système Terre. Elles sont l’endroit où nous vivons et nous approvisionnons majoritairement, en nourriture, en eau et en énergie. Mais elles jouent également un rôle important dans le changement climatique d’origine anthropique, à la fois en tant que moteur de ces changements et système qui y réagit. Explications par Nathalie de Noblet-Ducoudré, directrice de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (IPSL-LSCE, unité mixte CEA/CNRS/UVSQ).


Publié le 26 avril 2022

Quelles sont les interactions entre les terres émergées et les variations climatiques ?

L’étude des paléoclimats a mis en évidence que la distribution des écosystèmes terrestres n’est pas seulement un traceur passif des variations du climat mais rétroagit également sur celui-ci. Ainsi, la dernière glaciation, il y a 115 000 ans, a eu besoin du concours de la végétation pour se produire [1]. Du fait d’un ensoleillement moindre pendant l’été et plus fort pendant l’hiver dans l’hémisphère Nord, en réponse à l’évolution de la Terre sur son orbite autour du Soleil, une déforestation boréale naturelle s’en est suivie. Elle a accru le rafraîchissement des étés, l’a étendu aux saisons intermédiaires et favorisé la pérennisation de la neige puis la formation des calottes de glace qui se sont développées jusqu’au dernier maximum glaciaire il y a 21 000 ans.

Illustration de la manière dont, il y a 115 000 ans, la configuration orbitale de notre Terre a, petit à petit, conduit à la pér

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Illustration de la manière dont, il y a 115 000 ans, la configuration orbitale de notre Terre a, petit à petit, conduit à la pérennisation de la neige dans certaines zones boréales et à la fabrique des calottes de glace. © CEA

Et quel est l’impact de l’activité humaine sur ces écosystèmes, et plus particulièrement sur les sols ?

Depuis que l’humanité est sédentaire, elle a défriché et cultivé la terre de plus en plus intensément, en interdisant par conséquent à la végétation naturelle de s'adapter au climat. Aujourd’hui, l’homme occupe ou exploite plus de 70 % des terres émergées non englacées : la moitié est dédiée aux activités agricoles et pastorales, 1 % aux infrastructures et 22 % aux plantations forestières [2]. Le quart restant est donc libre d’influence humaine directe mais subit les effets du changement climatique. L’occupation des sols (ville, forêt, champ cultivé…) et leur usage (irrigation, culture d’hiver ou de printemps…) affectent le climat à deux échelles : 

  • à l’échelle mondiale, via leur effet sur les émissions nettes de CO2 
  • et à l’échelle régionale, via leurs échanges continus d’eau, de chaleur, d’aérosols et de composés organiques volatiles avec l’atmosphère[3].

L’évolution de ces usages a été intégrée aux modèles de climat utilisés pour les 5e et 6e exercices du GIEC, à partir de reconstitutions des zones agricoles et prairiales pour le passé et de scénarios prospectifs pour l’avenir. Au sein de ces modèles, des modèles spécifiques de surface, par exemple ORCHIDEE dans celui de l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL)[4], simulent comment les changements de végétation perturbent les échanges entre terres émergées et atmosphère.

Quels sont les effets de l’occupation des sols sur l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) ?

Si les activités industrielles sont le facteur dominant de l’augmentation des GES dans l’atmosphère, l’ensemble de celles liées à l’usage des terres, notamment la déforestation, contribuent à environ 23 % de ces émissions (CO2 anthropique, méthane relâché par les ruminants et la riziculture, protoxyde d’azote issu de l’élevage et des épandages agricoles). Ce sont ainsi, chaque année, environ 12 milliards de tonnes d’équivalent CO2 qui sont émis, contribuant au réchauffement climatique en cours depuis la fin du 19e siècle.

Si les écosystèmes terrestres jouent aujourd’hui un rôle de puits de carbone en stockant 29 % de nos émissions mondiales annuelles de CO2, ce « service » risque de s’émousser dans le cas où la température du globe continuerait de grimper. Au-delà de 2°C de réchauffement, en effet, l’augmentation des températures extrêmes, la plus grande récurrence des sécheresses et d’occurrence des feux conduira à une diminution significative de cette fonction.

Illustration des différentes formes d'occupation des sols ainsi que l'ensemble des flux échangés entre ces surfaces et l'atmosph

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Illustration des différentes formes d'occupation des sols ainsi que l'ensemble des flux échangés entre ces surfaces et l'atmosphère. Les flux de CO2 émis sont très vite mélangés dans l'atmosphère et contribuent au réchauffement mondial. Ces échanges peuvent être des composés biogéniques (BVOC), gazeux (CO2, CH4, N2O, H2O), minéraux ou particulaires (poussières, carbone suie) dont certains sont calorifères (évaporation, condensation, chaleur sensible). Ils affectent l'atmosphère - sa composition chimique, son contenu en aérosols, la formation des nuages et des pluies tout comme la vitesse et la direction des vents qui sont affectés par la rugosité de la surface qui peut les ralentir. © CEA

En quoi une meilleure occupation locale des sols est-elle une solution pour atténuer les événements extrêmes ?

La manifestation locale/régionale du réchauffement climatique peut être atténuée ou accentuée par des changements d’occupation ou d’usage des sols, tout comme l’impact de ce réchauffement (humidification/assèchement, verdissement/brunissement) peut conduire à amplifier/réduire le processus initial (plus/moins de pluie, plus/moins chaud). Dans les régions boréales, par exemple, le réchauffement se manifeste déjà par une augmentation de la durée de la saison de croissance et la fonte du pergélisol. En hiver, il est accru par la diminution de l’albédo alors qu’en été, il est atténué par une évapotranspiration plus importante. Sous les tropiques, là où une augmentation des précipitations est projetée, la croissance de la végétation et de l’évapotranspiration modèreront le réchauffement régional. Mais si les précipitations tendent à diminuer, le réchauffement local et la baisse pluviométrique seront alors accentués.

De façon générale, une surface végétalisée ou un sol qui s’humidifie, par la pluie ou l’irrigation, atténue la sensation de chaleur en période de canicule tandis qu’une végétation flétrissante ou un sol asséché par un excès de chaleur rendent cet événement encore plus chaud. Les effets de l’urbanisation en sont un bon exemple. Au pic de la canicule d’août 2003, il faisait 10°C de plus la nuit dans Paris que dans les campagnes voisines !

Toute déforestation, destruction de marais et tourbières, toute pratique culturale ne permettant pas de stocker du carbone implique une poursuite de son relargage et impacte le climat global comme celui ressenti sur nos lieux de vie. L’aménagement du territoire peut ainsi être un outil de modulation des effets climatiques locaux.

Un article extrait de Clefs n°74 sur le système Terre


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