L'augmentation de la concentration du CO2 dans l'atmosphère est un phénomène naturel qui intervient lors du passage d'une période glaciaire à interglaciaire, comme c'est le cas depuis 10 000 ans où la planète vit dans l'Holocène, une période chaude. Plusieurs paléoclimatologues, à commencer par ceux
du LSCE, se sont ainsi intéressés au lien entre cette augmentation et les forts
vents d’ouest qui balaient l’océan Austral lors de la dernière déglaciation,
initiée il y a 20 000 ans. Or, les variations passées de la position géographique de ces vents, qui jouent un rôle important dans la circulation océanique et sa régulation du CO2, demeurent mal connues.
Prendre la température de l'eau et localiser les vents
Pour retracer ces variations, les chercheurs ont compilé des données isotopiques de l'oxygène présent dans les coquilles de foraminifères, à partir d'échantillons prélevés dans des carottes sédimentaires de tout l'Austral et datés par la méthode du radiocarbone. L'isotope 18 de l'oxygène de l'eau intégrée par les micro-organismes lors de leur croissance renseigne en effet sur la température de surface de l'océan et ainsi sur la localisation de ces foraminifères par rapport aux vents :
- Les coquillages présentant des températures plus chaudes, indiquent qu'ils se trouvaient au nord de la zone balayée par les vents d'ouest, cette fine bande de latitudes qui sépare les régions froides du sud de l'océan et les régions plus chaudes situées au nord.
- Inversement, si des températures froides sont observées, c'est parce que les micro-organismes évoluaient au sud de cette zone de vents.
« Nous avons complété ces mesures, obtenues par la méthode « delta oxygène 18 » (d18O), avec des modélisations qui ont permis de reconstruire les changements de direction des vents d'ouest de l'hémisphère sud. Lors de la dernière glaciation, nos résultats indiquent un déplacement des courants et des vents vers le sud », annonce William Gray du LSCE.
Brassage de l'océan et concentration atmosphérique en CO2
Ainsi, lors du dernier maximum glaciaire d'il y a environ 20 000 ans, ces vents étaient positionnés environ 4,8° plus au nord qu'il y a 6 500 ans lors de l'Holocène moyen et leur force était réduite d'environ 25 %. De plus, des simulations calculées avec un modèle océan-mer-glace-carbone suggèrent que le positionnement plus au nord de ces vents avait diminué le « brassage vertical » de l'océan. Un phénomène dont l'intensité détermine la capacité de l'océan à stocker ou relarguer du CO2 (dégazage).
- Lorsque le brassage vertical est faible, l'océan est stratifié ; le CO2 qui s'y dissout est entraîné dans les profondeurs où il est stocké et, piégé par ces strates, il ne peut pas remonter à la surface (cas de la dernière glaciation où les vents d'ouest étaient plus au nord).
- Lorsque le brassage est fort, il s'opère comme un « retournement » par lequel les eaux profondes remontent à la surface et, de fait, le CO2 est relargué dans l'atmosphère (cas du passage vers l'interglaciaire, avec des vents se déplaçant vers le sud).
Ces résultats ont ensuite été corrélés avec les teneurs connues en CO2 de l'atmosphère au cours des cycles glaciaire-interglaciaire. Verdict : lors de la glaciation il y a 20 000 ans, la concentration était de 180 parties par million (ppm) et de 280 ppm à l'issue de la déglaciation, 10 000 ans plus tard, au début de l'Holocène. Aujourd'hui, les dernières données de février 2023 indiquent 420 ppm. Une accélération incontestable de l'augmentation du CO2 atmosphérique, cause du réchauffement atmosphérique actuel qui engendrera un déplacement supplémentaire de ces vents vers le Sud et donc plus de dégazage de CO2 dans l'atmosphère…