« Aujourd'hui, tous les appels d'offre relatifs aux villes mentionnent leur jumeau numérique. C'est devenu une mode », constate Marc Barthelemy, physicien théoricien à l'IPhT. Précieux outils, ces jumeaux numériques modélisent et simulent les constituants d'une ville, comme les réseaux de transports et d'énergies, les activités industrielles, la météo ou les individus, afin d'anticiper son évolution et optimiser son fonctionnement. Leur approche se base sur l'accumulation massive de données, provenant des capteurs dans les villes de plus en plus nombreux et performants pour les simuler en temps réel grâce à une puissance exponentielle de calcul.
Toutefois, un collectif interdisciplinaire de chercheurs européens réunissant géographes, urbanistes et physiciens publie une mise en garde sur une idée sous-jacente : plus la simulation des données aurait un niveau de détail et de réalisme élevé, et plus le jumeau numérique serait capable de prédire fidèlement l'évolution du système. Or, force est de constater que non, tel que l'illustre le spécialiste des réseaux à l'IPhT : « Nous n'avons pas été capables de prédire la propagation du Covid 19 en France, ni même l'impact sur le trafic routier de la fermeture des voies sur berge de Paris en 2016 ».
La simplicité et la sobriété des sciences de la complexité
Une ville est un écosystème très complexe, hors équilibre, avec de multiples et diverses interactions entre des comportements individuels et collectifs sur des échelles spatio-temporelles tout aussi nombreuses. Elle a notamment la particularité de voir émerger, à grande échelle, un comportement collectif comme des mouvements de foule que la seule simulation de ses constituants ne peut prédire. C'est là qu'interviennent les théories et méthodes de la science de la complexité qui ont la singularité de se concentrer sur l'effet à grande échelle d'interactions microscopiques ; et ce, à l'aide de modèles simples.
« Les sciences de la complexité ont par exemple la capacité de classer les corrélations entre différents réseaux. Elles permettent de comprendre les systèmes complexes à de multiples niveaux, et en particulier les processus « bottom up » alors que les modèles des jumeaux numériques ne considèrent que les flux « top-down », indique le théoricien, ajoutant que la qualité de l'analyse et de la prédiction des jumeaux numériques demeure problématique. « La solution consisterait à allier les approches de la complexité avec celles du numérique ». Sans compter le gain en sobriété énergétique de ces avatars !