Observés depuis seulement une dizaine d'années, les skyrmions magnétiques sont très prometteurs pour le stockage et le traitement de l'information, à l'échelle nanométrique et à basse consommation.
Ces « textures » de spin localisées peuvent s'enrouler dans deux sens opposés, ce sens étant appelé chiralité. Jusqu'à présent, ces deux chiralités ne pouvaient être obtenues que dans des matériaux distincts ou au prix de manipulations complexes dans un environnement contrôlé (par chimisorption).
Des chercheuses et chercheurs de l'Irig, avec leurs partenaires, ont voulu relever le défi d'inverser la chiralité de skyrmions au sein d'un même matériau, par application d'une tension de grille.
Leur choix s'est porté sur des skyrmions d'extension latérale micrométrique et d'épaisseur nanométrique, bien stabilisés dans un empilement de couches ultra-minces Ta/FeCoB/TaOx à température ambiante. Dans des travaux précédents, ils avaient observé que l'application d'une tension de grille permet de modifier les paramètres physiques fixant la stabilité et la chiralité des skyrmions et que cette dernière peut s'inverser en fonction du degré d'oxydation de la couche TaOx.
En optimisant précisément l'épaisseur de la couche ferromagnétique FeCoB et le degré d'oxydation de l'oxyde adjacent TaOx, ils sont parvenus à élaborer un dispositif proche du point de bascule entre les deux formes chirales. Ils se sont ensuite attachés à déplacer les ions oxygène au sein de la couche TaOx par application d'une tension de grille. De cette manière, ils ont pu, pour la première fois, inverser la chiralité des skyrmions grâce à une simple tension électrique.
Cependant, la tension de grille modifie également l'anisotropie magnétique de surface de l'empilement, et par suite, l'énergie des skyrmions, ainsi que leur stabilité et leur taille. Il faut désormais démontrer expérimentalement qu'il est possible d'inverser la chiralité d'un skyrmion sans le déstabiliser, comme le suggèrent les simulations numériques réalisées dans cette étude. Pour cela, il sera nécessaire d'optimiser encore plus finement les effets de la tension de grille. Il restera enfin à diminuer la taille des skyrmions jusqu'à l'échelle nanométrique et à adapter les conditions nécessaires à leur stabilisation, en fonction des applications visées.
Cette avancée ouvre la possibilité de contrôler et déplacer les skyrmions individuellement. Alors que les scientifiques se représentaient un « train » de skyrmions avançant dans le même sens sous l'effet d'un courant, ils peuvent désormais imaginer des déplacements de skyrmions dans les deux sens sous un même courant. Il devient ainsi possible de coder l'écart entre deux skyrmions successifs ou d'envoyer sélectivement des skyrmions dans des terminaux distincts (multiplexage).
Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec l'Institut Néel de Grenoble et le Laboratoire des sciences des procédés et des matériaux de Villetaneuse (CNRS).