L'apprentissage en à peine trois ans de la langue maternelle par le jeune enfant est un des « miracles » du développement les plus bluffants, comme en témoigne en creux la difficulté des adultes à maîtriser une langue étrangère.

Le signal acoustique associé à la parole est en effet délicat à interpréter, en raison de la diversité des voix, de la proximité de certains sons ou du bruit de fond ambiant. La reconnaissance vocale automatique a résolu ces difficultés en analysant des bases de données gigantesques mais comment fait le bébé ?

Des neuroscientifiques se sont demandé si sa capacité de reconnaissance vocale pouvait utiliser des principes analogues à ceux de la perception visuelle, tels que l'élimination du « bruit » par la   décomposition du signal en composantes élémentaires (« orthogonales »).

Dans le domaine vocal, le signal est analysé suivant des critères définis par les linguistes tels que le point d'articulation (l'endroit où se place la langue pour obstruer le passage de l'air) ou le mode d'articulation. Ainsi la consonne « b » est-elle occlusive, bilabiale et sonore, et s'oppose à « p » également occlusive et bilabiale mais sourde alors que « m » est bilabiale et sonore mais nasale, etc. Un tel code basé sur des caractéristiques articulatoires décrivant la production d'un son peut-il être utilisé par des nourrissons trop jeunes pour babiller ?

Pour le savoir, les chercheurs de Joliot ont enregistré, à l'aide d'un système électro-encéphalographique (EEG) à haute résolution (256 canaux), les réponses neurales de nourrissons âgés de trois mois à 120 syllabes présentées dans un ordre pseudo-aléatoire, avec des profils acoustiques et phonétiques variés, pendant environ une heure.

Ils montrent que chaque trait phonétique (consonne ou voyelle) est codé puis ces traits sont combinés pour que les identités de la consonne puis de la voyelle soient perçues séparément. Cette analyse rapide et stable de la parole permet au cerveau d'explorer les règles de combinaisons de ces briques élémentaires conduisant aux mots, qui, très rapidement, sont utilisés comme des « étiquettes » de catégories de l'environnement du bébé.