Le mendélévium 251Md à 101 protons et 150 neutrons n'a que deux protons et deux neutrons de moins que le lawrencium (255Lr) mais le premier est un actinide, le second un « transactinide ».
Tous deux sont produits artificiellement sur Terre et n'ont qu'une durée de vie éphémère (4 minutes pour 251Md). Ces noyaux ont un autre point commun : leur forme évoque un kiwi et ils « adorent » tourner sur eux-mêmes sitôt créés. C'est une aubaine car les physiciens peuvent alors mesurer leur moment d'inertie et préciser leur déformation (ou élongation).
Plus concrètement, 251Md est produit par fusion en bombardant des noyaux accélérés de calcium 48 sur une cible de thallium 205. Un faisceau de 1010 noyaux de calcium par seconde produit typiquement deux noyaux de 251Md par minute. Première difficulté : il faut procéder à un tri extrêmement sélectif ! Les noyaux tous neufs de 251Md émettent des rayons gamma et des électrons qui accompagnent le ralentissement de leur rotation. Après une dizaine de jours d'acquisition portant sur plusieurs milliers d'événements, les physiciens peuvent « lire » sur le spectre gamma obtenu si le noyau est déformé et s'il a « tourné », et en déduire sa vitesse de rotation et son moment d'inertie.
Les chercheurs sont alors stupéfaits de constater que le spectre de rotation de 251Md ressemble à s'y méprendre à celui de 255Lr. Comment expliquer que ces noyaux dissemblables soient « jumeaux » ?
Pour en savoir plus, ils décident de mesurer les électrons en même temps que les gamma. Deuxième difficulté expérimentale : le spectre des électrons, noyé dans le bruit, est très fragmenté et compte une multitude de « pics ». Seule l'Université de Jyväskylä en Finlande dispose aujourd'hui des moyens nécessaires à une telle expérience sur des noyaux très lourds comme 251Md.
Nouvelle surprise : l'interprétation va à l'encontre de la « gémellité » de 251Md et 55Lr. Aucune explication intuitive ne leur permettant de comprendre cette anomalie, les physiciens sollicitent des théoriciens de l'Institut de physique des 2 infinis de Lyon. Ceux-ci utilisent « l'approximation du champ moyen », à savoir le potentiel créé par l'ensemble des 251 nucléons. Et là, miracle : ça marche !
Leurs calculs ne permettent cependant pas de reproduire parfaitement tous les détails de l'expérience. Le doute subsiste : la gémellité de 251Md et 255Lr est-elle le fruit d'un hasard ou bien résulte-t-elle d'une propriété plus générale des noyaux très lourds ? Pour trancher, il faudrait pouvoir observer à l'avenir d'autres cas similaires, cette fois avec l'accélérateur Spiral2 et le Super-spectromètre séparateur S3, au Ganil, dont le démarrage est prévu en 2023.