Les maladies transmises par des moustiques – paludisme, dengue, chikungunya – sont aujourd'hui en recrudescence, sous l'effet notamment du changement climatique et de la globalisation des échanges. Or les insecticides pyréthrinoïdes, qui se heurtent à une résistance croissante des moustiques, sont progressivement retirés. Il est donc impératif d'imaginer de nouvelles stratégies de lutte, tout en diminuant autant que possible les doses de biocide afin de minimiser les impacts sur la santé humaine et l'environnement. Des approches combinant un agent répulsif et un insecticide ont été proposées. Des chercheurs de l'IRD (Institut de recherche pour le Développement, Montpellier) ont ainsi signalé un effet potentialisateur du répulsif le plus courant, le DEET (N, N-Diethyl-3-methylbenzamide), sur la toxicité – pour les moustiques – du carbamate/proxopur, un insecticide non pyréthrinoïde. Le mécanisme de cette potentialisation restait cependant inconnu. Une collaboration impliquant cette équipe de l'IRD, le Simopro (Service d’Ingénierie Moléculaire des Protéines, un laboratoire du CEA-IBITECS à Saclay), l’université d’Angers et l’université Copernicus de Torun (Pologne), vient de le détailler en combinant diverses approches électrophysiologiques, pharmacologiques, d'imagerie calcique ainsi que de modélisation moléculaire.
Le carbamate agit en bloquant l'acétylcholinestérase (AChE), une enzyme qui régule le taux d'acétylcholine, un neurotransmetteur (molécule assurant le transfert du signal nerveux). Utilisant des neurones de blatte américaine, un modèle cellulaire établi pour l'étude des récepteurs à l'acétylcholine, les chercheurs ont d'abord confirmé expérimentalement l'effet potentialisateur du DEET sur l'action du carbamate. Fait intéressant, cette potentialisation ne se produit qu'avec de faibles concentrations de DEET.
Ils ont ensuite montré que le DEET se fixe sur des récepteurs particuliers à l'acétylcholine, dits muscariniques, ce qui déclenche une cascade complexe d'évènements à l'intérieur du neurone, aboutissant finalement à augmenter la sensibilité de l'AChE au carbamate. Après avoir détaillé ce mécanisme sur les neurones de blatte, les chercheurs ont vérifié, in vitro et par modélisation, que le DEET n'a pas d'affinité pour les récepteurs muscariniques humains, ce qui laisse supposer l'existence d'un site de fixation spécifique aux insectes. Enfin, ils ont confirmé in vivo sur des moustiques Aedes aegypti, espèce vecteur de la dengue, de la fièvre jaune et du chikungunya, que la combinaison DEET plus carbamate est plus létale que l'insecticide seul.