« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! », écrivait Charles Baudelaire.
150 ans plus tard, ce brin de poésie est plus que jamais d'actualité. À sa manière, la communauté des chercheurs répond à l'appel du poète en accumulant les connaissances sur le fonctionnement des océans. Car ces derniers sont une composante majeure du « système Terre ». Ils participent à la régulation du climat par les échanges de chaleur et de gaz à effet de serre à l'interface air-mer et par leur stockage en profondeur. Entre 2013 et 2022, les océans ont ainsi piégé 29 % des émissions anthropiques de CO2, participant à l'atténuation des effets du changement climatique.
Le suivi et la prévision de ces flux de CO2, essentiels à l'heure de transposer l'accord de Paris sur le climat, représentent cependant un véritable défi technique et scientifique ! Le développement de la première vague de chaleur marine dans l'Atlantique nord-est au cours du printemps-été 2023 et ses conséquences sur les flux air-mer de CO2 ont néanmoins pu être suivis et compris : des vents anormalement faibles et des eaux de surface anormalement chaudes ont été à l'origine d'une réduction des flux de CO2 à l'échelle de la région. L'analyse de l'année 2023, exceptionnellement chaude sur une grande partie de l'océan, a aussi montré la vulnérabilité du puits de carbone océanique face à ces vagues de chaleur marines, tout comme l'existence de mécanismes de compensation régionale. Un tel suivi en temps quasi-réel a été rendu possible grâce à des approches numériques par apprentissage machine, aux progrès en télédétection et à un effort communautaire de collecte de données de pression partielle de CO2 à la surface de l'océan.
Si les conséquences physiques et chimiques du changement climatique sur les océans (par exemple, la modification de la circulation ou encore l'acidification de l'eau) sont relativement bien comprises, il en va tout autrement des impacts sur les écosystèmes. Évaluer la capacité des organismes à s'adapter aux nouvelles conditions environnementales devient une urgence ! La révolution génomique, le développement de nouvelles méthodes de séquençage et leur application au milieu marin, les avancées algorithmiques, associés à des campagnes d'échantillonnage de grande envergure (comme celles réalisées par la Fondation Tara Océan), permettent depuis peu de cartographier les communautés planctoniques, des virus jusqu'aux petits organismes pluricellulaires. Ces travaux permettront d'identifier les lignées et les gènes soumis à une forte pression de sélection. Aux interfaces entre les sciences de l'océan et la génomique naissent ainsi les premières projections de biogéographies des communautés planctoniques réagencées par les effets du changement climatique à l'horizon de 2100. Ces nouvelles données contribueront à évaluer les conséquences des modifications des écosystèmes sur le cycle du carbone océanique.
Face à l'accélération du changement climatique, la communauté scientifique doit elle aussi tenter d'accélérer ses travaux. Dépasser les clivages thématiques et investir ces champs interdisciplinaires est un excellent moyen de continuer à nourrir cet « océan de savoirs » que la science fête cette année, et qui constitue un socle de connaissances essentiel aux prises de décisions politiques internationales pour la préservation des océans et la lutte contre le changement climatique.
Marion Gehlen,
directeur de recherche en biogéochimie marine au LSCE, est spécialiste des impacts du changement climatique et de l'acidification des océans sur les écosystèmes marins.
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