La révolution agricole des années 1960 en Amérique du Sud – coïncidant avec la période principale des retombées de radionucléides artificiels – a conduit à une augmentation significative de l'emprise des terres cultivées, au détriment des écosystèmes naturels. Cette expansion rapide de l'agriculture a accéléré l'érosion des sols et a accru la production et le transport de sédiments, avec des impacts environnementaux et économiques non négligeables. Mais quelle est précisément la contribution des activités anthropiques des dernières décennies à ces transferts de matière ?
Pour le savoir, des chercheurs du LSCE et leurs partenaires se sont appuyés sur le potentiel des retombées de radionucléides artificiels (césium et plutonium), consécutives aux essais d'armes nucléaires atmosphériques, entre 1945 et 1980.
Au cours de cette période, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'URSS, la France et la Chine ont procédé à des essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère, dont les traces sont détectables au niveau des sols. Une fois déposés à la surface des sols, sous l'effet des précipitations, les radionucléides à l'état de traces ou ultra-traces se lient fortement aux particules fines du sol, qui transitent sur les surfaces continentales avant de s'accumuler, au fil du temps et en couches successives, au fond des lacs et des retenues de barrages hydroélectriques.
Les scientifiques doivent commencer par établir un modèle d'âge des différentes couches de sédiments marqués par les radionucléides, dans des sites restés intacts depuis de nombreuses décennies. Ils utilisent le césium 137, un marqueur temporel qui permet de distinguer plusieurs séquences au cours des essais nucléaires atmosphériques (premiers essais avec des retombées globales détectables dès 1954, maximum des retombées entre 1963 et 1965, etc.).
Le consortium a, de plus, étudié, pour la première fois, l'évolution temporelle de deux isotopes du plutonium (240Pu et 239Pu), présents à l'état d'ultra-traces dans les couches sédimentaires prélevées dans des lacs au Chili et en Uruguay.
Grâce à un modèle empirique de mélange à deux sources, les scientifiques ont pu différencier les retombées radiologiques dues aux essais nucléaires des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'URSS avant 1963, et celles des essais français, réalisés plus tardivement en Polynésie de 1966 à 1974, dans l'hémisphère sud.
Forts de ce résultat, ils proposent une chronologie révisée des retombées de radionucléides artificiels en Amérique du Sud, tant d'un point de vue spatial que temporel et encouragent la communauté scientifique à mesurer autant que possible les rapports isotopiques 240Pu/239Pu dans les carottes sédimentaires prélevées entre 20° et 50° de latitude Sud.
Ils concluent que l'analyse de ces rapports isotopiques permettrait d'éviter à l'avenir des erreurs d'interprétation dans les reconstructions environnementales, provenant d'une datation incorrecte des archives sédimentaires par les radionucléides artificiels dans cette région du monde.