En soixante ans, le coût de développement d'un nouveau médicament a bondi d'un facteur 50. Aujourd'hui, le manque de nouvelles molécules thérapeutiques est devenu critique. Les molécules « biologiques », qui représentent près de 15 % des médicaments, pourraient bien fournir une partie de la solution. Elles présentent l'avantage par rapport aux molécules « chimiques » d'être plus sélectives et d'induire moins d'effets secondaires. Parmi elles, citons l'insuline, les facteurs de coagulation… et une toxine de lézard,
blockbuster contre le diabète de type 2.
Des cocktails complexes de toxinesPlutôt que de chercher parmi des molécules de synthèse, Venomics a choisi de concentrer sa quête de molécules biologiquement actives là où elles se trouvent déjà, en quantités pléthoriques. Chaque venin des 170.000 espèces venimeuses est un cocktail extrêmement complexe de plusieurs centaines de mini-protéines. Sur ces quelque 40 millions de toxines, seules 5000 sont connues. Leurs activités biologiques sont extrêmement variées. Ainsi par exemple, des cônes engloutissent leur proie après les avoir « anesthésiée » à l'aide hormones hypo-glycémiantes et en cas de nécessité, ces mêmes coquillages se défendent contre un prédateur avec un venin de composition différente. Au cours de millions d'années d'évolution, la nature a élaboré des mini-protéines extrêmement résistantes et puissantes. La compréhension de la toxicité de certains venins a permis d'identifier des toxines capables d'agir sur l'interface nerf-muscle, la coagulation du sang ou encore le système nerveux. De nombreuses toxines, non toxiques à faibles doses, peuvent être développées comme candidats thérapeutiques.
Pour s'approvisionner en venins les plus variés, les biologistes de Venomics n'ont pas hésité à organiser plusieurs expéditions en Guyane, à Mayotte et en Polynésie française, puis ils ont complété leur collection auprès d'un collectionneur privé et d'un fournisseur spécialisé. Ils ont ainsi pu réunir des échantillons de glande à venin et de venin, appartenant à 203 espèces : cônes marins (56 %), araignées (29 %), scorpions (8 %), mille-pattes, serpents, fourmis, etc. Dans le cas du varan, un grand lézard pouvant atteindre 70 kg, ils ont procédé par chirurgie vétérinaire, sans séquelle pour l'animal.
Des « omiques » appliquées aux veninsUne entreprise espagnole, Sistemas Genomico, a séquencé le transcriptome des glandes à venin, c'est-à-dire les molécules d'ARN exprimées par la cellule pour synthétiser les toxines, et l'université de Liège (Belgique) a analysé les toxines contenues dans les venins (protéome). Des séquenceurs et des spectromètres de masse de dernière génération ont été utilisés pour ces tâches. Ces deux sources d'informations ont été traitées conjointement par des outils de bio-informatique innovants au CEA pour construire la première banque de toxines, riche de 25.000 séquences d'acides aminés.
Une réussite remarquable de Venomics a été le développement de technologies d'analyse adaptées aux très faibles quantités de matériel biologique, et ce, pour deux raisons. 90 % des animaux venimeux sont extrêmement petits et leur venin ne pouvait être étudié par les techniques habituelles. Par ailleurs, pour préserver la biodiversité, les partenaires de Venomics ont choisi de ne prélever qu'un seul échantillon par espèce.
Un criblage très fructueux !Si la transcriptomique et la protéomique permettent d'identifier les séquences des toxines présentes dans les venins, elles n'apportent aucune information sur leur activité biologique. Pour les tester, il a donc été nécessaire de produire ces toxines, composées de 10 à 100 acides aminés. Ce travail a été réalisé sur presque 4000 d'entre elles, selon deux stratégies complémentaires. Les peptides contenant moins de 35 acides aminés ont été synthétisés par voie chimique au CEA et les plus « grands » ont été exprimés par des bactéries grâce à des méthodes biotechnologiques, mises en œuvre par l'Université de Marseille et l'entreprise portugaise NZYTech.
Ainsi a été créée une banque de 3616 toxines naturelles, une première mondiale ! Il restait à démontrer qu'elle possédait bien des activités intéressantes dans le cadre de la recherche de nouveaux candidats thérapeutiques. Son criblage, effectué par le CEA et l'entreprise danoise ZealandPharma, a été réalisé sur des cibles thérapeutiques contre lesquelles de nouveaux médicaments sont particulièrement attendus. 280 candidats ont été identifiés sur les 10.400 tests de criblage réalisés. Le taux de succès de 2,64 % se compare très favorablement à celui obtenu par criblage classique de molécules artificielles de 0,02 %.
Plusieurs conclusions s'imposent, selon le coordonnateur de Venomics, Nicolas Gilles, chercheur au CEA :
« Venomics a d'abord prouvé la faisabilité d'un nouveau concept permettant d'explorer et d'exploiter l'ensemble des animaux venimeux, tout en préservant leur biodiversité. Nous avons aussi pu démontrer qu'il était beaucoup plus efficace de cribler des molécules créées par la nature depuis des millions d'années plutôt que celles créées artificiellement par l'homme.»Venomics a permis de « dé-complexifier » l'utilisation des venins comme source de nouveaux médicaments. Plusieurs grandes industries pharmaceutiques comme Sanofi ont déjà exprimé leur intérêt pour accéder à cette banque. Venomics est aussi une source potentielle inestimable de nouvelles connaissances pour la recherche fondamentale.
VENOMICSVenomics est un projet européen coordonné par le CEA. Il comprend les partenaires académiques et industriels suivants :
- CEA (France)
- Université Méditerranée Aix-Marseille (France)
- Université de Liège (Belgique)
- Sistemas Genomicos (Espagne)
- Nzytech LDA (Portugal)
- Absiskey CP (Grenoble)
- Zealand Pharmaceuticals AS (Danemark)