En physique nucléaire, les noyaux qui comptent 8, 20 ou 50 protons ou neutrons sont dits « magiques ». Cette particularité leur confère une stabilité plus grande que celle des autres noyaux. C'est le cas de l'oxygène 16 (8 protons et 8 neutrons) ou du calcium 40 (20 protons et 20 neutrons) qui sont plus abondants que les autres dans l'Univers. Ces noyaux sont des objets d'étude privilégiés pour tester la modélisation des forces qui structurent le noyau atomique.
Avec 8 protons et 20 neutrons, l'oxygène 28 est le dernier noyau doublement magique qui n'a pas encore été étudié en détail. Après trente ans de traque, les physiciens nucléaires n'en ont produit que très peu. La raison en est que ce noyau est « non lié », ce qui signifie que les forces nucléaires entre nucléons (neutrons et protons) ne suffisent pas à les « coller » ensemble : le noyau se désintègre sitôt produit, après seulement 10-22 seconde ! Qui plus est, en se désintégrant en oxygène 24, l'oxygène 28 n'émet pas moins de quatre neutrons qu'il est indispensable d'analyser tous…
Pour contourner cette difficulté, les physiciens ont choisi d'étudier un noyau radioactif, le fluor 28, composé de 9 protons et de 19 neutrons : moins difficile à produire que l'oxygène 28, il se désintègre en émettant un seul neutron, avec une demi-vie dont la durée est compatible avec l'expérience. Si l'oxygène 28 est doublement magique, les chercheurs devraient retrouver ses propriétés à quelques nuances près dans le noyau de fluor 28.
L'expérience a été réalisée au laboratoire Riken, au Japon, à l'aide de la cible cryogénique Minos, des détecteurs de neutrons Neuland et Nebula et du spectromètre Samurai.
Elle met en évidence que les neutrons du fluor 28 occupent une large fraction de l'orbitale de valence, signe qu'il ne subsiste que de faibles « vestiges » de magicité. Dès lors, elle montre, pour la première fois, que la double « magicité », si robuste pour les noyaux stables, disparaît dans l'oxygène 28 du fait de son caractère non lié et des forces nucléaires en présence dans ce noyau à très grand nombre de neutrons.
Elle plaide pour la prise en compte et la recherche de nouveaux effets susceptibles d'influencer fortement la dynamique des nucléons au sein des noyaux.