Parfois deux organismes très différents s’associent de façon quasi-indissociable pour constituer une forme symbiotique qui peut être considérée comme un nouvel organisme à part entière. Lorsque l’un des organismes d’une symbiose utilise la photosynthèse (comme une micro-algue), on parle de photosymbiose. Ce type d’association, retrouvé par exemple dans les récifs coralliens, est essentiel aux écosystèmes marins.
Un nouveau mode de photosymbiose
Quand ils découvrent en 2012 que la symbiose des acanthaires et des Phaeocystis, les chercheurs constatent que ces micro-algues, une fois intégrées dans leur hôte, changent d'aspect par rapport à leur vie à l’état libre. Ils se demandent alors si cette association profite réellement aux deux organismes ?
« À l’époque, nous n’avions pas les outils de microscopie ni les protocoles requis pour maintenir les cellules dans leur état natif. Ce fut une partie essentielle développée à Grenoble. En effet, il fallait être en mesure d’observer précisément ce qui se passe dans les cellules » explique Johan Decelle, chercheur à l’Irig. « C’est essentiel pour déchiffrer le rôle de chaque partenaire, pour mettre en évidence les mécanismes physiologiques, structurels et métaboliques qui sous- tendent les interactions cellule-cellule. »
Grâce aux technologies d’imagerie subcellulaire complétées par des analyses physiologiques, les chercheurs sont en mesure d’apporter un élément de réponse : « Nous avons découvert un nouveau mode de photosymbiose, qui ne correspond pas du tout à ce que l’on observe chez les coraux ou les lichens » raconte le chercheur. « Au sein de l’acanthaire, les micro-algues subissent une transformation radicale de leur organisation structurelle et de leur métabolisme. Cette transformation, vraisemblablement induite par l’hôte, maximise l'activité photosynthétique de l’algue. »
Véritable symbiose ou « culture » ?
Dans les acanthaires, les chercheurs ont observé une augmentation du volume des micro-algues mais aussi une augmentation de la taille et du nombre de leurs chloroplastes et de leurs membranes photosynthétiques augmentant drastiquement la surface photosynthétique. De plus, la visualisation des nutriments (azote, phosphore) à l'intérieur des cellules, rendue possible grâce à l’imagerie chimique, montre que l’algue investit plus dans sa machinerie énergétique que dans sa propre croissance. D’ailleurs, ces micro-algues symbiotiques sont également appauvries en phosphore comparativement au stade libre, ce qui pourrait expliquer l'absence de division cellulaire au sein de l'hôte.
À l’ESRF de Grenoble, les chercheurs constatent également que les Phaeocystis stockent dans leurs vacuoles de bien plus grandes concentrations de métaux essentiels (fer et cobalt) lorsqu’elles sont dans leur hôte que sous leur forme libre.
La photosymbiose des acanthaires et des Phaeocystis se traduit donc par un remodelage morphologique et métabolique extrême des micro-algues, qui n’avait jamais été observé auparavant dans d’autres photosymbioses comme les coraux.
Finalement, cette symbiose semble correspondre davantage à une stratégie de l'hôte visant à réduire la croissance de ses symbiotes tout en maximisant leur photosynthèse et leur rendement. Autrement dit, il s’agit plutôt d’une « culture » d’algues (ou « farming ») par l’acanthaire, voire un parasitisme inverse, où le plus grand est le parasite du plus petit. Peut-être une étape de l’évolution des espèces photosynthétiques.
Un acanthaire (hôte) de 100-200 µm de longueur avec ses micro-algues symbiotiques
intracellulaires (cellules jaunes). © Johan Decelle