Le CEA est sollicité pour son expertise en toxicologie nucléaire par des organismes internationaux comme la CIPR[2], l'UNSCEAR[3] ou l'OMS[4]. La DSV et la DEN ont participé à l'évolution de la
valeur guide de l'uranium dans les
eaux de boisson préconisée par l'OMS. Un article de revue publié dans
Environment International par le CEA-CETAMA et le CEA-IBEB retrace l'histoire singulière de l'augmentation de cette valeur, de 2 µg/L en 1998 à 30 µg/L en 2011. « C'est absolument unique dans l'histoire de la réglementation, raconte Laure Sabatier, responsable du programme transverse Toxicologie au CEA.
Les valeurs seuil sont en général revues à la baisse. » Pourquoi une telle augmentation dans ce cas ? « Les premières recommandations se basaient sur des études toxicologiques irréalistes, explique Odette Prat, chercheuse au CEA-IBEB.
Les modèles rongeurs étaient exposés à des doses trop élevées et les effets induits n'étaient pas pertinents. » Des études épidémiologiques finlandaises, auxquelles s'est associé le CEA, ont amené à revoir cette valeur à la hausse. « Dans le sud de la Finlande, certaines eaux de captage sont naturellement très uranifèresavec une concentration dépassant largement 30 µg/L et pouvant atteindre 1500 µg/L, poursuit la biologiste.
Parmi les personnes ayant consommé ces fortes concentrations d'uranium sur de longues périodes, aucune augmentation significative du risque de développer une pathologie rénale ou osseuse, ou des cancers, n'a pu être détectée. »
Pour comprendre cette absence de toxicité, les chercheurs ont étudié la
spéciation de l'uranium, à savoir la forme chimique dans laquelle il existe, selon la nature de son environnement. Il s'agit dans le cas des eaux finlandaises étudiées de complexes de carbonates, d'uranyle et de calcium, qui sont très peu absorbés par les intestins et rejetés essentiellement dans les fèces et l'urine[5].
« Relier la spéciation de l'uranium qui dépend de la minéralisation du milieu dans lequel il se trouve, à des données de toxicité chimique, pourrait permettre de modéliser la dangerosité d'un milieu contaminé pour réagir rapidement en cas d'incident au niveau d'eaux de captage, par exemple », souligne Odette Prat.
L'évolution spectaculaire de la valeur guide de l'uranium dans les eaux de boisson ne devrait pas s'arrêter là. En effet, les scientifiques relèvent des incohérences liées à la divergence des études de toxicité chimique et de toxicité radiologique de l'uranium. « L'estimation de la toxicité radiologique pour l'uranium 238 (238U) recommande 10 Bq/L[6], alors que pour l'Uranium naturel, composé à 99 % d'238U, l'estimation est faite sur la toxicité chimique et recommande 30 µg/L, soit 1 Bq/L ! », précise Laure Sabatier.
[1] Commission d'ETAblissement des Méthodes d'Analyse de la Direction des Etudes Nucléaires
[2] Commission internationale de protection radiologique
[3]
United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation : Comité scientifique de l'ONU sur les conséquences des émissions radioactives
[4] Organisation Mondiale de la Santé
[5] Pour en savoir plus :
Uranium speciation in drinking water from drilled wells in southern Finland and its potential links to health effects
[6] Le becquerel (symbole : Bq) est l'unité d'activité d'un radionucléide et correspond à une désintégration par seconde.