La créatine, un dérivé d’acides aminés provenant à la fois de la
nourriture et de la synthèse par l’organisme, intervient dans la constitution
des réserves énergétiques des muscles et du cerveau. Son déficit au niveau
cérébral se traduit par des retards mentaux sévères affectant en particulier le
langage, ainsi que des troubles du comportement et parfois de l’épilepsie. Chez
une minorité de patients, la créatine est synthétisée normalement mais la
maladie provient d’un défaut de son transporteur intracérébral. Ce
dernier est une protéine transmembranaire spécifique chargée de la faire
pénétrer dans les neurones et les cellules gliales[1]. Les traitements à base de
monohydrate de créatine ou d’acides aminés précurseurs, disponibles pour les
déficits de synthèse, sont alors inefficaces.
Deux équipes du CEA-IBITECS (SPI/SCBM) ont eu l’idée de contourner les
transporteurs déficients en synthétisant des précurseurs inactifs de créatine
capables de pénétrer dans les cellules cibles puis d’y être transformés en
créatine active. Les chercheurs ont imaginé et synthétisé des esters de créatine
munis d’une longue chaîne lipophile. C’est cette dernière qui permet à
l’ensemble de traverser la membrane lipidique de la cellule sans l’aide du
transporteur spécifique. Arrivés dans les neurones et les cellules gliales, les
esters sont clivés par des enzymes, les estérases. La créatine, libérée, peut
alors exercer son activité physiologique. Le plus intéressant de ces composés,
l’ester dodécylique[2] de créatine, a prouvé sa capacité à pénétrer dans des
cellules de peau prélevées sur des patients atteints de la maladie et qui
présentent elles aussi le déficit en transporteur. Les chercheurs ont également
démontré qu’il est effectivement converti en créatine par les estérases.
L’équipe a donc déposé un brevet européen, accordé en février 2014, couvrant les
esters de créatine, leur voie de synthèse originale et leurs applications.
Restait cependant à amener ces composés intacts jusqu’au cerveau. Les
chercheurs ont donc mis au point et publié une double stratégie permettant, dans
un premier temps, de protéger les précieux esters durant leur transport par voie
sanguine puis, dans un deuxième temps, de les libérer dans le cerveau de manière
à ce qu’ils pénètrent dans les cellules cibles. Pour cela, les esters de
créatine sont englobés dans des nanocapsules lipidiques biocompatibles
qui ne les relarguent qu’une fois passée la barrière hématoencéphalique.
L’équipe prépare actuellement des essais pré-cliniques sur des rongeurs modèles
de la maladie, en collaboration avec les universités d’Angers et de Cincinnati
(Etats-Unis).
[1] Longtemps considérées comme de simples supports de neurones, les cellules
gliales jouent en réalité un rôle fonctionnel important qui explique la
physiologie cérébrale ainsi que la physiopathologie de certaines maladies.
[2] sa chaîne lipophile comprend douze atomes de carbone