Vous êtes ici : Accueil > La biologie et le CEA : un lien originel

La biologie et le CEA : un lien originel

Publié le 4 octobre 2022

 « Étudie[r] les mesures propres à assurer la protection des personnes et des biens contre les effets destructifs de l’énergie atomique », constitue l’une des missions attribuées au tout nouveau Commissariat à l’énergie atomique par l’ordonnance qui acte sa création en 1945. La radioprotection se développe donc au CEA dès l’origine, mais aussi la radiobiologie et la radiotoxicologie, afin de connaître les effets des rayonnements sur le vivant. Pour autant, le CEA ne se limite pas à explorer uniquement cet aspect des sciences du vivant. Pourquoi ?

Le premier Haut-Commissaire à l’énergie atomique nommé en 1946 n’est autre que Frédéric Joliot. Or, celui-ci pressent déjà le potentiel de la radioactivité artificielle pour la biologie. En 1935, il écrit : on doit « prévoir l’emploi de ces éléments radioactifs en tant qu’indicateurs pour étudier le comportement de leurs isotopes inactifs dans certaines réactions chimiques ou dans les phénomènes biologiques. » Il considère tout naturellement que les sciences du vivant, dans leur ensemble, ont leur place au CEA et il promeut l’utilisation d’isotopes radioactifs par ses chercheurs ; il a d’ailleurs lui-même participé en 1943 à la réalisation de la première molécule marquée (une hormone thyroïdienne, la thyroxine) en France. Le premier médecin-biologiste du CEA, François Morel recruté en 1948, utilise l’extraordinaire outil des molécules marquées pour comprendre la physiologie du rein. Dans les années cinquante, les réacteurs nucléaires du CEA, comme la pile Zoé, sont utilisés pour fabriquer les radioisotopes des principaux éléments constituant la matière vivante : carbone, azote, oxygène, hydrogène. Le premier comité à l'énergie atomique
L’équipe scientifique du CEA en 1946. Assis de gauche à droite : Pierre Auger, Irène Curie, Frédéric Joliot, Francis Perrin, Lew Kowarski, debout de gauche à droite : Bertrand Goldschmidt, Pierre Bicquard, Léon Denivelle, Jean Langevin. © Otto et Pirou

 

« En biologie, […] la méthode des indicateurs, employant les radioéléments synthétiques, permettra d’étudier plus facilement le problème de la localisation et de l’élimination d’éléments divers introduits dans les organismes vivants [et…] trouvera probablement une application pratique en médecine. »

Extrait de la conférence Nobel de Frédéric et Irène Joliot-Curie donnée à Stockholm le 12 décembre 1935.

 

​Des radioisotopes à la génétique

plan-tomates
Plants de tomates obtenus à partir de graines irradiées, en vue d’observer les mutations, 1956.
©CEA/Service documentation

La radioa​cti​vité artificielle permet des avancées spectaculaires dans la compréhension du vivant et révolutionne la biologie du XXe siècle. Grâce à elle, les chercheurs étudient la synthèse d’une molécule dans la cellule, suivent son devenir sur des coupes de tissus, déterminent sa fonction, voient comment les cellules communiquent entre elles grâce à des messages chimiques… Les laboratoires du CEA participent activement à cette révolution et étendent progressivement leurs domaines de compétence : en 1953, le Haut-Commissaire Francis Perrin crée le service de biologie, placé sous l’autorité de Jean Coursaget et qui regroupe des chercheurs en biochimie, biophysique, biologie végétale, physiologie et médecine nucléaire. Aussi, quand dans les années soixante, l’intérêt des biologistes se focalise sur la détermination du code génétique, le CEA se mobilise en fournissant aux laboratoires du monde entier les acides aminés marqués, de qualité exceptionnelle, indispensables àplan de tabac marqué au C14 l’avancement des travaux. Et, en 1963, le CEA implante un service de radioagronomie sur son tout nouveau centre, à Cadarache, pour y étudier les échanges d’éléments chimiques entre les plantes et leur milieu. Quelques années plus tard, on y développera les techniques de stérilisation des aliments par exposition aux rayonnements ionisants.

 
 
Injection de dioxyde de carbone marqué au
carbone 14 sur plant de tabac, mars 1956. ©CEA
 

La physique au service de la biologie

Mais le CEA n’apporte pas que son savoir-faire en production de molécules marquées à la biologie. Celle-ci bénéficie aussi largement d’un environnement technique qui a peu d’équivalent.

Dès 1956, physiciens et biologistes du CEA s’associent pour développer des techniques de scintigraphie de la thyroïde avec un tel potentiel d’applications médicales que Jean Coursaget crée en 1958 le Service hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ) au sein de l’hôpital d’Orsay. Biologistes, médecins, physiciens et, plus tard, informaticiens y jettent les bases de l’imagerie médicale moderne.

Très tôt dans l’histoire du CEA, les biologistes développent avec le concours de leurs collègues physiciens et chimistes l’utilisation des rayonnements X et des faisceaux de neutrons pour explorer les structures moléculaires (notamment celles des protéines). Qu’ils soient à Saclay ou à Grenoble, ils participent au progrès de la compréhension des relations structures-fonctions. Grâce à ses physiciens qui s’intéressent à la résonance magnétique nucléaire (RMN), le CEA se retrouve aux avant-postes pour en développer des applications en chimie moléculaire, biologie structurale et imagerie médicale dans les années 1970, lorsque cette technique monte en puissance (avec l’arrivée des aimants supraconducteurs et des ordinateurs).

camera à positons 1983
Caméra à positons « temps de vol »,
Service Hospitalier Frédéric Joliot, mars1983. ©CEA/ Pierre Jahan

​Voulue depuis la création du CEA, renforcée par son formidable essor et poussée par les collaborations entre biologistes et chercheurs d’autres disciplines, les sciences du vivant au CEA se sont progressivement structurées avec, en point d’orgue, la création en 1990, de la Direction des sciences du vivant (DSV) regroupant sept instituts. Depuis 2005, la DSV gère le centre CEA de Fontenay-aux-Roses où le démantèlement des anciennes installations nucléaires laisse progressivement la place aux installations dans le domaine de la biologie et tout particulièrement de la santé. En 2007, les deux plateformes nationales de séquençage (Genoscope) et de génotypage (CNG) sont rattachées au CEA. Elles deviennent le huitième institut de la DSV : l’institut de génomique. Début 2010, le gouvernement redéfinit les missions du CEA en le rebaptisant « Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives » et la DSV fait le choix stratégique de renforcer ses équipes travaillant sur les énergies alternatives, en l’occurrence la biocatalyse et la production de biohydrogène, les biocarburants de troisième génération et la recherche sur les procédés économes en énergie.

La DSV constitue aujourd’hui l’un des cinq pôles opérationnels du CEA. Les sciences du vivant y sont imprégnées de sa culture de l’industrie, de la technologie et de l’innovation et bénéficient de la richesse des échanges avec les autres pôles (Direction de l’énergie nucléaire, Direction des sciences de la matière, Direction des applications militaires, Direction de la recherche technologique).

Les dates clés de la biologie au CEA

​1945

​Création du Commissariat à l’énergie atomique.

1948

​Installation des premiers laboratoires de biologie au centre de Fontenay-aux-Roses. François Morel, 1er "médecin-biologiste" du CEA travaille sur une « imagerie du corps en fonctionnement ».

​1953

​Francis Perrin, Haut-Commissaire, crée le Service de biologie sous la direction de Jean Coursaget.

​1955

​Les biologistes s’implantent au centre de Saclay.

​1958

​Création à Orsay du Service Hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ) consacré à la Médecine nucléaire.

​1959

​Installation au centre de Grenoble de laboratoires de biochimie et de physiologie.

1960

​Le service de biologie devient un département.

​1963

​Début de la radioagronomie au centre de Cadarache.

1990

​Création de la Direction des Sciences du Vivant avec 6 départements.

1992​Création, à Grenoble, de l'Institut de Biologie Structurale (IBS).

​2005

​Le centre de Fontenay-aux-Roses est rattaché à la DSV.

​2007

​Rattachement au CEA des deux plateformes nationales de recherche en génomique : le Centre national de séquençage (Genoscope) et le Centre national de génotypage (CNG). Elles forment le 8e institut de la DSV : l’Institut de Génomique (IG).​


À l'occasion de ses 25 ans, la DSV a confié à deux historiens, Pascal Griset, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne et directeur de l’Institut des sciences de la communication (Paris-Sorbonne, UPMC, CNRS) et Jean-François Picard, historien des sciences au CNRS, l’écriture d’un livre qui raconte la spécificité de ses recherches.

L’ouvrage, édité au Cherche Midi, est vendu en librairie.