Pour optimiser le fonctionnement du démonstrateur de fusion ITER en construction à Cadarache, il est essentiel de modéliser au mieux le plasma de fusion au voisinage des parois internes du tokamak (plasma de bord ou « couche limite »). Les scientifiques déduisent en effet de ses propriétés les flux de chaleur et de particules qui impactent les éléments de la paroi (dont la conception peut ainsi être optimisée), leur influence sur le plasma de cœur et les performances de fusion attendues.
Aujourd'hui, la modélisation du plasma de bord ne peut prendre en compte des phénomènes physiques aux petites échelles spatio-temporelles comme la turbulence avec des temps de calcul raisonnables. Elle décrit la dynamique du plasma dans la direction perpendiculaire au champ magnétique comme un processus de diffusion, dont les coefficients reproduisent les profils expérimentaux et ne permet donc pas de prédire le résultat d'une expérience.
Pour dépasser cette limite, des scientifiques de l'IRFM en collaboration avec le Laboratoire de Mécanique, Modélisation & Procédés Propres (Aix-Marseille Université / CNRS / Ecole Centrale de Marseille) ont adopté une approche inspirée de la mécanique des fluides, consistant à réduire le nombre de paramètres libres, en ciblant en particulier les coefficients de diffusion affectés à chaque point de l'espace. Préférant des équations simplifiées à la résolution détaillée de la turbulence, ils sont parvenus à déterminer l'énergie cinétique turbulente et son temps caractéristique en utilisant deux équations de transport : l'une pour l'énergie (k²) et l'autre pour sa dissipation (ε). Ils en déduisent un coefficient de diffusion proportionnel à k²/ε en tous points de l'espace, pour un temps de calcul pratiquement inchangé.
Ce modèle « k – ε » a été introduit dans le code SOLEDGE simulant le plasma de bord afin de le comparer aux simulations turbulentes et aux données expérimentales des tokamaks TCV (Tokamak à configuration variable) à Lausanne et WEST (IRFM).
Résultat : les premières simulations de ce modèle reproduisent certaines caractéristiques globales du transport turbulent, comme sa distribution spatiale, mais aussi des grandeurs locales comme la largeur de la couche limite, un paramètre clé dans l'extraction de la puissance de fusion. L'écart avec le modèle turbulent n'excède pas 20 %, soit une précision supérieure à celle obtenue par une loi d'échelle.
Cette approche « k – ε » pourrait en particulier être mise en œuvre pour développer de nouvelles configurations de divertor (plancher du tore) pour ITER.