D'après un postulat facilitant la description théorique du noyau atomique, l'interaction forte qui tient ensemble les nucléons devrait être indépendante de leur charge électrique. Cette hypothèse (symétrie isospin) qui permet de considérer les neutrons et les protons comme deux états de la même particule n'est cependant pas tout à fait exacte comme en témoigne la légère différence de masse entre protons et neutrons. Celle-ci a été intégrée à la théorie décrivant les noyaux.
Des physiciens dévoilent aujourd'hui un indice supplémentaire de cette rupture de symétrie en étudiant des noyaux « miroirs » (le nombre de protons de l'un est identique au nombre de neutrons de l'autre et vice versa).
Or, en raison de la répulsion coulombienne, les noyaux comptant plus de protons que de neutrons sont très instables et difficiles à produire en laboratoire. C'est pourquoi seuls leurs premiers états excités avaient pu être étudiés jusqu'à présent et non pas les probabilités de transition de leurs états excités. La situation a évolué récemment avec la 2e génération d'accélérateurs produisant des faisceaux intenses d'ions radioactifs tels que le Radioactive Ion Beam Factories ou RIBF, au Japon.
Les chercheurs ont choisi des noyaux ayant le même nombre de masse : le krypton (36 protons, 34 neutrons), le brome (35, 35) et le sélénium (34, 36). Ils les ont accélérés au RIBF jusqu'à des énergies relativistes pour initier l'excitation électromagnétique des noyaux sur une cible en or. L'émission de rayons gamma à la fréquence des transitions énergétiques de chaque noyau leur a permis d'accéder aux probabilités de transition. Par rapport aux observables utilisées précédemment, ces probabilités sont des sondes plus sensibles de la façon dont la fonction d'onde du noyau est affectée par les neutrons et les protons.
Les expériences démontrent une violation de la symétrie d'isospin d'une ampleur inattendue : les probabilités de transitions dans les noyaux miroirs krypton et sélénium s'écartent considérablement des prédictions théoriques. Ces différences pourraient refléter des changements de forme des noyaux : le sélénium serait aplati comme une lentille tandis que le krypton, beaucoup plus déformé, évoquerait plutôt un ballon de football américain.
Ces études se poursuivront avec des isotopes encore plus « exotiques », où le déséquilibre entre protons et neutrons est plus important. De tels noyaux seront produits dans l'installation de recherche sur les antiprotons et les ions (FAIR) – actuellement en construction en Allemagne en collaboration avec le CEA – à partir de 2025 ou 2026.