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De la modélisation des méga-herbivores du passé à la disparition annoncée de leurs lointains descendants encore sauvages
Boeuf musqué dans le "Pleistocene Park", en Sibérie. Ce parc reconstitue la steppe à mammouth qui, à l'ère glaciaire, abritait une population importante de gros animaux. ©Andy Astbury
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Au cours de la dernière période glaciaire, les grands herbivores prospéraient sur des terres septentrionales pourtant peu propices à leur développement. Grâce à des modèles décrivant la dynamique des populations animales et leurs interactions avec la végétation et le climat, une équipe conduite par le LSCE explique ce paradoxe par leur grande taille et offre des évaluations précises, passées et présentes, de ces écosystèmes.
Publié le 14 mars 2018
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Une grande majorité des territoires d'Eurasie et d'Amérique du Nord couverts aujourd'hui de forêts boréales et de toundra étaient de vastes steppes froides durant la dernière période glaciaire, il y a 110.000 – 14.000 ans. Des ossements et restes fossiles de mégafaune retrouvés sur place ont pu être datés. Selon ces travaux, les grands herbivores comme les mammouths laineux, les bœufs musqués, les chevaux et les bisons étaient présents sur l'ensemble des terres nordiques non glacées.
Des études antérieures avaient évalué la densité de cette « mégafaune » dans le nord de la Sibérie, l'Arctique et l'Alaska à un niveau comparable à celui rencontré aujourd'hui dans les parcs nationaux de la savane africaine. Or avec le froid et sec et la faible teneur atmosphérique en CO2 qui prévalaient à cette période glaciaire, la végétation était beaucoup moins productive qu'aujourd'hui. Comment autant de grands animaux ont-ils pu subsister ?
« On sait depuis longtemps que les grands mammifères ont un métabolisme plus efficace que les petits, détaille Dan Zhu, chercheur au LSCE. En utilisant ces règles physiologiques empiriques, ainsi que des équations démographiques, on peut simuler la population animale en fonction de la productivité de la végétation. De leur côté, les modèles de dynamique de végétation globale fournissent la dynamique de la végétation et les cycles biogéochimiques en fonction des conditions climatiques. En combinant l'ensemble de ces interactions, nous avons pu comprendre le fonctionnement d'écosystèmes glaciaires qui n'ont aucun équivalent actuel. »
« À l'inverse, nous avons également modélisé les impacts des grands herbivores sur la végétation, poursuit Philippe Ciais, chercheur au LSCE. Des observations de terrain ont en effet montré que les grands herbivores peuvent réduire la couverture ligneuse, accélérer le cycle des nutriments et réduire les incendies. Nous avons commencé à modéliser ces processus, mais certains paramètres sont encore mal connus. Il faudra donc acquérir davantage de données pour mieux comprendre les interactions complexes herbivores-plantes ».
Enfin, les chercheurs ont évalué le nombre potentiel de grands herbivores que la planète pourrait accueillir aujourd'hui si l'Homme n'existait pas. Puis en soustrayant les surfaces cultivées et urbaines à l'ensemble des terres non glacées, ils ont estimé que la population d'herbivores sauvages a été réduite de 79 – 93% par la pression anthropique. La baisse est encore plus spectaculaire si on raisonne en terme de poids des animaux (128 à 9 – 27 millions de tonnes).
Cette estimation est un cri d'alerte si on ne veut pas assister rapidement à la disparition complète des herbivores sauvages, sous la pression de la démographie humaine et de l'élevage.
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