De nombreux médicaments ciblent des protéines. Comprendre la dynamique d'une protéine et la façon dont elle se lie à ses partenaires est donc essentiel pour développer de nouvelles molécules thérapeutiques efficaces. Or, la complexité de la vie de beaucoup de protéines, et notamment leur plasticité, avec une structure toujours changeante et dépendante des paramètres extérieurs (partenaires, température, etc.), rend leur étude particulièrement difficile. En outre, seules certaines de leurs conformations sont fonctionnelles, comme un seul modèle de clé est capable d'ouvrir une serrure. Une équipe de l'IBS, en collaboration avec l'EPFL1 et l'ENS2 de Lyon, a mis au point une méthode inédite pour étudier la dynamique de ces molécules biologiques très agitées. « L'idée consiste à « endormir » profondément une protéine et à la regarder se réveiller petit à petit jusqu'à devenir fonctionnelle », raconte Martin Blackledge, directeur de laboratoire à l'IBS.
L'éveil progressif d'une protéine, d'un état inerte à fonctionnel
Ce sommeil profond est obtenu en abaissant la température à -168°C, température à laquelle les différents composants de la protéine sont figés. En augmentant progressivement la température jusqu'à 7°C, les chercheurs ont vu ces composants s'éveiller les uns après les autres sous l'agitation thermique, à l'image d'un individu au petit matin qui ouvre d'abord un œil, s'étire, et mobilise enfin assez d'énergie pour se lever. Cette astuce expérimentale permet de détecter les mouvements individuels des différents composants d'une protéine ainsi que les mouvements collectifs avec un dispositif de spectroscopie RMN3 spécialement adapté. Elle a été testée sur GB1, une classe de protéines interagissant avec les anticorps. Afin de mimer l'environnement de la protéine dans le cytoplasme de la cellule, les chercheurs ont analysé la protéine entourée de molécules d'eau. Lors de la montée en température, ces dernières ont été les premières à s'animer, à -113°C. Les chaînes latérales de la protéine sont ensuite sorties de leur léthargie, suivies par son squelette, à -53°C, température à laquelle la protéine est devenue active. A chaque transition et tout au long du réchauffement, les données de RMN ont permis de visualiser l'interaction entre toutes les parties de la protéine. « C'est la première fois que l'on reconstitue le film du « réveil » d'une protéine, d'un état inerte à température très basse jusqu'à son état fonctionnel, avec toutes les étapes intermédiaires, souligne le chercheur. Nous avons identifié quelle température, donc quelle énergie, est nécessaire pour franchir la barrière menant d'un état à un autre. »
De la RMN à toutes les températures
La RMN, qui exploite les propriétés magnétiques des atomes d'hydrogène, d'azote et de carbone, est particulièrement difficile à mettre en œuvre pour les différentes configurations de la protéine, solides à basse température et liquides à température ambiante. L'équipe de l'IBS a ainsi développé un dispositif dédié aux températures variables, capable de capter un signal RMN plusieurs jours durant. Pour les phases solides, l'éprouvette contenant les protéines doit être inclinée d'un angle « magique » par rapport au champ magnétique, puis mise en rotation rapide et constante. Afin de s'adapter à l'élévation de température et donc au passage de phases solides à liquides, le système a été doté d'un rotor ajustant automatiquement et précisément l'angle d'inclinaison de l'échantillon.
Ce dispositif de spectroscopie a montré sa puissance pour reconstituer le film du réveil d'une protéine hydratée, une astuce expérimentale permettant d'analyser finement les mouvements des différents composants d'une protéine, pour comprendre comment ils s'articulent afin de rendre la protéine fonctionnelle.
- École polytechnique fédérale de Lausanne
- Ecole Normale Supérieure
- Résonance magnétique nucléaire