1. Introduction
Les nanomatériaux étant des substances chimiques, leurs risques sont, dans l'Union Européenne, déjà couverts par le cadre législatif existant. La directive-cadre 89/391/CEE (1) relative à la sécurité et à la santé au travail, la directive 98/24/CE(2) portant sur l'exposition aux agents chimiques et la directive 2004/37/CE(3)(4) sur les agents cancérigènes et mutagènes, ainsi que les règlements REACH (voir §1.3) et CLP (voir§ 1.4) sur les substances chimiques s'appliquent aussi aux nanomatériaux.
En France, la réglementation en matière de prévention du risque chimique, prévue par le Code du travail (5), s'applique bien entendu aux nanomatériaux, de même que les textes consacrés à la mise sur le marché des substances chimiques, des médicaments, des produits cosmétiques ou des aliments.
Toutefois certaines de ces réglementations peuvent nécessiter des adaptations pour prendre en compte les propriétés particulières des nanomatériaux et des réglementations spécifiques peuvent également s'avérer nécessaires pour certains usages.
2. Définition Européenne des nanomatériaux
Pour adapter la législation aux nanomatériaux, une définition permettant de les distinguer des "non-nanomatériaux" a été proposée. La Commission Européenne a publié en octobre 2011 une recommandation(6) qui sert de référence pour savoir si un matériau doit être considéré comme "nanomatériau" aux fins de la législation et des politiques de l'Union:
« Nanomatériau désigne un matériau naturel, incident, ou manufacturé contenant des particules non liées, agrégées, ou agglomérées, et où pour 50 % ou plus de ces particules, en nombre, présentent une ou plusieurs dimensions externes comprises entre 1 et 100 nanomètres…..».
Cette recommandation n'a pas actuellement de valeur légale contraignante. Des discussions sont encore en cours pour arriver à une définition réglementaire applicable dans tous les textes réglementaires.
3. Réglementation des produits chimiques
La réglementation européenne des produits chimiques repose sur :
> les règlements, REACH et CLP ;
> des règles d'utilisation, pour une application, ou une fonction, donnée.
a) Règlement REACH
REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) (7) (8) (9) (10) est un règlement de l'Union Européenne, entré en vigueur le 1er juin 2007. Il définit les règles de production et de mise sur le marché, de plus d'une tonne par an, de toute substance chimique et préparation, avec comme objectifs la protection de la santé et de l'environnement, mais également un accroissement de la compétitivité et de l'innovation de l'industrie chimique de l'Union. Il s'applique à toutes les substances chimiques, fabriquées et commercialisées, aussi bien à celles qui sont employées dans les processus industriels, qu'à celles qui sont utilisées dans la vie quotidienne.
Il impute la charge de la preuve aux entreprises. Celles-ci doivent identifier et gérer les risques liés aux substances qu'elles fabriquent et commercialisent dans l'Union Européennes. Elles doivent s'assurer qu'elles n'ont pas d'effets néfastes sur la santé humaine et l'environnement, montrer comment la substance peut être utilisée en toute sécurité, et communiquer les mesures de gestion des risques aux utilisateurs. Si les risques ne peuvent être gérés, les autorités peuvent restreindre l'utilisation des substances.
Il exige que les fabricants, les importateurs et les utilisateurs en aval enregistrent auprès de l'ECHA(11), les substances qu'ils produisent, commercialisent ou utilisent. Les dossiers d'enregistrement doivent inclure des données sur les dangers et les risques des substances chimiques enregistrées. Pour son enregistrement, la substance est définie par sa composition chimique et sa structure, mais pas par sa taille ou sa forme.
Bien que REACH ne comporte pas encore d'exigences explicites concernant les nanomatériaux, il est nécessaire d'évaluer et de gérer les risques potentiels de ces nouvelles formes de matériaux. Leur prise en compte constitue de nouveaux défis pour adapter REACH aux nanomatériaux, en en révisant les annexes, ce qui pourra conduire l'ECHA à demander aux entreprises de fournir des données complémentaires pour l'évaluation de leurs risques.
b) Règlement CLP
Le règlement européen CLP (Classification, Labelling and Packaging) porte sur la classification, l'étiquetage et l'emballage des substances et mélanges chimiques(12). Il a pour objet d'assurer que les dangers que présentent les substances chimiques soient clairement communiqués aux travailleurs et aux consommateurs de l'Union Européenne grâce à leur classification et à leur étiquetage.
Ce règlement, entré en vigueur en janvier 2009, repose sur le Système Général Harmonisé des Nations unies. Il a remplacé progressivement deux actes législatifs antérieurs, la directive «Substances dangereuses» et la directive «Préparations dangereuses».
Avant de procéder à la mise sur le marché de substances chimiques et de mélanges, l'entreprise doit déterminer leurs risques potentiels pour la santé humaine et l'environnement, et les classer conformément aux dangers identifiés.
Selon le règlement CLP, les classifications et étiquetages de substances et de mélanges dangereux sont soumis à déclaration, auprès de l'ECHA qui tient un registre de classification et d'étiquetage contenant les indications fournies par les fabricants.
Le règlement CLP ne contient pas d'exigences explicites concernant, les nanomatériaux, mais ils entrent bien dans son champ d'application et ses dispositions sont donc applicables. L'obligation de déclaration s'applique donc ainsi aux nanomatériaux. Lorsque ceux-ci présentent une classification contraire à celle de leur forme micro ou macroscopique, elle doit être justifiée et est soumise à publication.
c) Fiche de Données de Sécurité
L'obligation d'établir une fiche de données de sécurité (FDS) pour des substances ou des préparations relève du règlement REACH, dont le titre IV fixe les règles à respecter par les fournisseurs et l'annexe II présente les exigences pour l'élaboration de la FDS.
Son article 31 définit l'obligation de fournir une FDS conforme pour les substances et préparations dangereuses afin de renseigner les personnes qui, à titre professionnel ou commercial, utilisent ces substances ou ces préparations, afin qu'elles puissent prendre les mesures qui s'imposent sur le plan de la protection de la santé, de la sécurité au travail et de la protection de l'environnement (13) (14).
Cette obligation s'applique donc bien entendu aux nanomatériaux présentant un danger, ou pour lesquels on ne dispose pas de donnée de leur impact sur la santé humaine et l'environnement. La norme AFNOR ISO/TR 13329 de février 2013 : Nanomatériaux - Préparation des feuilles de données de sécurité des matériaux(15) donne des recommandations pratiques pour remplir les FDS de nanomatériaux.
d) Législation du travail
Les directives européennes pour la santé et la sécurité au travail(1) d'une part, pour les agents chimiques (2) (3) d'autre part donnent comme obligation à l'employeur d'assurer une mise en œuvre sûre des produits chimiques potentiellement dangereux et d'établir des règles pour prévenir les risques au poste de travail. Les nanomatériaux ne sont pas spécifiquement désignés dans ces directives, mais doivent implicitement les respecter.
L'établissement de valeurs limites d'exposition professionnelle (VLE) est également à rechercher. La mise en place de registres d'exposition et de surveillance de la santé des travailleurs concernés est aussi vivement conseillée.
e) Produits et dispositifs médicaux
Dans sa seconde revue règlementaire, la Commission Européenne reconnait que la législation actuelle sur les produits médicaux permet une analyse bénéfices / risques des nanomatériaux. Elle étudie cependant actuellement les possibilités d'instituer un système de contrôle des risques spécifiques aux nanomatériaux, notamment pour des médicaments combinant des nanoparticules et un matériel génétiquement actif, ce qui pourrait requérir leur enregistrement dans le cadre du règlement CE n° 1394/2007(16).
f) Législations nationales en Europe
Plusieurs pays européens ont mis en place ou envisagent de mettre en place des législations spécifiques aux nanomatériaux visant à les déclarer, afin d'établir une cartographie de leurs lieux de production et de transformation, ainsi qu'à identifier leurs principales utilisations.
La France est le premier pays à avoir mis en place une telle législation avec le décret "Nano"(23), dans le cadre des lois dites "Grenelle 1 et 2", qui a pour objet la mise en œuvre d'un dispositif de déclaration obligatoire auprès des autorités publiques concernant la fabrication, l'importation et la mise sur le marché des « substances à l'état nanoparticulaire ». L'obligation de déclaration(24), instituée par la loi du 3 août 2009, impose aux fabricants, importateurs et distributeurs sur le territoire français de déclarer annuellement, auprès du ministère chargé de l'environnement, l'identité, les quantités et les usages de ces substances ainsi que l'identité des utilisateurs professionnels à qui elles ont été cédées. La déclaration doit être effectuée à partir de 100 grammes de substance à l'état nanoparticulaire produite, importée ou distribuée par an.
D'autres pays européens ont suivi la démarche française et appliquent une déclaration sur certaines espèces de nanomatériaux, comme la Belgique(25) ou le Danemark(26), ou envisagent de le faire (Suède, Italie, Allemagne,...). La mise en place d'un registre européen commun et unique parait être la prochaine étape afin de sortir de cette multitude d'initiatives nationales.
g) Législations non européennes
Hors d'Europe, des législations nationales et régionales sur les nanomatériaux tendent à se mettre en place dans tous les pays. D'une manière générale, les législations nationales sur les produits chimiques sont basées sur l'évaluation de leurs risques par une agence gouvernementale, avant leur mise sur le marché. Ces législations s'appliquent aux nanomatériaux, et font actuellement l'objet d'un examen pour les adapter.
En Australie, le NICNAS(27) (28) a retenu comme définition pour les nanomatériaux industriels, les nanomatériaux qui sont produits pour leurs propriétés à l'échelle nanométrique. Les nanomatériaux sont régis, comme les produits chimiques conventionnels, sous l'Industrial Chemicals Notification and Assesment Act (29), qui distingue les nouveaux produits, des anciens.
Les USA et le Canada collaborent afin d'avoir une approche cohérente et commune sur les produits chimiques, incluant les nanomatériaux, en s'appuyant sur le Toxic Substances Control Act (TSCA) et la procédure de PreManufacture Notification (PMN) de l'US EPA(30).
Les pays asiatiques (Chine, Japon, Corée,..)(31) étudient également la mise en place d'une réglementation spécifique pour les nanomatériaux. Singapour examine par exemple la possibilité de déployer une procédure de déclaration des nanomatériaux.