Analogues naturels et archéologiques
Le CEA a su accompagner l’évolution du domaine de recherche qui questionne, depuis déjà de longues années, avec les meilleures méthodes de la physique et de la chimie, la matière qui nous est parvenue du passé. Cette matière est un fil, un contact ténu entre la réalité de ce passé (comme l’écrit Etienne Klein en introduction) et la nôtre, et nous permet de l’entrevoir, comme les ombres sur les murs de la caverne de Platon.
Dans cette démarche générale, le CEA possède la force de ses moyens analytiques et de ses plateformes (qui bénéficient d’une longue expérience dans le domaine), mettant au service des sciences leurs progrès technologiques (tomographie, synchrotrons, irradiations, spectromètres de masse etc.). Ces progrès et ces techniques ne seraient cependant que de peu d’utilité (ou relèveraient de l’anecdote) s’ils n’avaient su s’intégrer de manière fortement interdisciplinaire dans les approches archéologiques et historiques. Ainsi aujourd’hui, les laboratoires du CEA, en collaboration toujours plus étroite avec ceux des autres institutions (CNRS, ministère de la Culture…), adoptent les démarches globales qui font qu’on n’analyse plus aujourd’hui un objet archéologique, une sculpture, un tableau, un monument, comme on le faisait au milieu, voire à la fin du siècle dernier, et qu’on restaure avec des techniques et une déontologie différentes : les collaborations mutuelles entre les sciences dites exactes et les sciences humaines permettent désormais d’accéder à une meilleure compréhension globale, qui remet la matérialité de l’objet au centre de son contexte et de son histoire.
Pour cette raison, les développements méthodologiques et analytiques ne peuvent pas être efficaces s’ils sont déconnectés de toute réalité. Au contraire, comme nous l’avons vu dans les nombreux exemples de ce numéro, ils doivent être mis au point et adaptés en symbiose avec une compréhension globale des systèmes étudiés qui sont notamment hétérogènes à différentes échelles. Dans ce cadre épistémologique, qu’il s’agisse de comprendre les sociétés anciennes, les processus d’altération des objets ou de mettre au point les modes de protection, les enjeux sont multiples :
n les laboratoires et les chercheurs doivent assurer une veille constante sur les nouvelles technologies émergentes. Celles-ci ne se résument pas à une méthode d’analyse isolée mais se doivent d’être ouvertes à toutes les approches possibles ;
n les progrès futurs devront aider à partager nos efforts entre l’analyse représentative de grandes séries d’objets avec des méthodes adaptées, incluant le traitement statistique des résultats et l’analyse ultrafine, (et nécessaire) pouvant être poussée jusqu’au nanomètre pour certains objets ;
n le stockage et le traitement des données numériques sont générées de plus en plus massivement par les laboratoires. Celles-ci sont éminemment hétérogènes et doivent être couplées, pour s’intégrer aux démarches interdisciplinaires que nous venons de citer, aux autres données (archéologiques, historiques, etc.) ;
n enfin, cette recherche doit se faire de manière intégrée au sein de structures interdisciplinaires, pour un développement d’une science du patrimoine elle-aussi interdisciplinaire, intégrée et structurante : des initiatives nationales existent déjà, tant au plan de l’enseignement ou de projets de recherche. Les récentes propositions émergeant du milieu des grands instruments nationaux et européens, qui se donnent pour objectif de se rapprocher des sciences humaines doivent ne pas oublier et même renforcer l’existence avérée de la communauté interdisciplinaire déjà structurée, vivante, rhizomique, innovatrice, dont le CEA fait partie intégrante, en collaboration avec d’autres structures universitaires. On citera ARC-Nucléart, le LMC14 ou le LAPA où se croisent physiciens, chimistes mais également archéologues, conservateurs et restaurateurs. Cette confiance qui s’est établie ne tombe pas des nues ; elle résulte de recherches et de questionnements élaborés en commun de longue date. Elle se doit cependant d’être constamment entretenue par un dialogue permanent, exigeant, sans cesse enrichi.
Le défi majeur pour l’avenir de l’ensemble de cette communauté est de continuer à faire progresser notre connaissance scientifique du patrimoine matériel et culturel, en rassemblant tous les points de vue, scientifiques et historiques. n