Migrations
Mais, c’était sans compter sur les pratiques des artisans anciens dont certains savoir-faire font intervenir des ingrédients d’origine organique dans la fabrication de matériaux ! C’est ainsi que du carbone 14 issu du charbon de bois se retrouve piégé dans les fers anciens et permet la datation de leur production [2][2] DOI: 10.1017/RDC.2016.109.
Après la mise au point de la datation des alliages ferreux en collaboration avec le Laboratoire archéomatériaux et prévision de l’altération (LAPA), le Laboratoire de mesure du carbone 14 (LMC14) [3][3] Plateforme nationale CEA/CNRS/IRD/IRSN/ministère de la Culture, UMR 8212 continue d’innover en réalisant la toute première datation de carbonates de plomb. Ces composés sont très présents dans notre patrimoine culturel. En art et architecture, ils sont les constituants de la peinture blanche utilisée par les artistes européens depuis l’Antiquité jusqu’au début du XXe siècle. En archéologie, leur présence dans les cosmétiques antiques et du XVIIIe siècle témoignent des usages privés. Les carbonates de plomb existent à l’état naturel mais ceux constituant les peintures ou les fards ont été synthétisés. Le pigment ou la poudre blanche s’appelaient alors céruse, blanc de plomb ou encore blanc de Saturne.
La première synthèse chimique de blanc de plomb qui nous soit parvenue est décrite dans une recette du IVe siècle av. J.-C. par un auteur grec, Théophraste. Pour préparer le blanc de plomb, de fines lamelles de plomb métallique sont mises en présence de vapeur de vinaigre dans un environnement en fermentation (fumier de cheval, lie de vin, tannin…). Ce sont ces ingrédients organiques qui vont « marquer » le blanc de plomb en carbone 14. L’incorporation de l’isotope radioactif dans le pigment va ensuite servir de chronomètre.
Ainsi des cosmétiques grecs et égyptiens ont-ils été datés, pour la première fois, avec succès, en 2018 [4][4] www.nature.com/articles/s42004-018-0034-y [5][5] www.pourlascience.fr/sd/archeologie/datation-au-carbone-14-un-nouvel-outil-pour-etudier-lorigine-des-cosmetiques-antiques-14405.php. La datation par le carbone 14 a permis de confirmer les premières synthèses chimiques de la phosgénite, un carbonate de plomb rare dans la nature (formule Pb2Cl2CO3), effectuées en Égypte il y a environ 3 500 ans. Un fard rosé composé de blanc de plomb et découvert dans la tombe d’une fillette en Grèce a fait également l’objet d’investigations. La datation de cette poudre à joues démontre qu’elle a bien été synthétisée entre les IVe et IIIe siècles av. J.-C. selon le procédé décrit dans la recette rapportée par Théophraste. Pour la phosgénite, c’est une recette plus tardive de Dioscoride, médecin et botaniste grec du 1er siècle après J.-C., qui en révèle le mode de fabrication [6][6] Walter et al, 1999. Making make-up in Ancient Egypt. Nature. 397:483-484. Dans les deux cas, du carbone 14 a été piégé mais sa source n’est cependant pas clairement identifiée dans ces recettes. Il faudra attendre la fin du XIIIe siècle pour que la mention du fumier de cheval apparaisse, fournissant ainsi une indication directe d’une atmosphère de dioxyde de carbone pour fabriquer du blanc de plomb !
Ce pigment va perdurer jusqu’au XXe siècle lorsqu’il sera finalement remplacé en raison de sa toxicité. Dater le blanc de plomb, c’est donc pouvoir authentifier les peintures sur plus de deux millénaires : les répercussions dans le monde de l’art peuvent être considérables ! Une thèse est en cours au LMC14 sur ce sujet. n